Putain, Sid, j’arrive pas à croire que j’suis dans le salon de consultation d’un psy, sérieux moi. Comment ça, ça devrait pas me surprendre ? Je t’emmerde sale con, j’suis tout à fait normal ! Bon j’avoue que parler à ma tumeur c’est pas la preuve d’une vraie clarté d’esprit, plutôt de la folie mais bon, à part ça, y a rien à signaler. J’suis tout à fait normal. Bon, ok, j’prends un peu d’Opium et beaucoup de joint ce qui apparemment peuvent avoir des effets néfastes sur ma santé à la longue…et ça fait très longtemps que je les prends. ouais, c’est bon, j’sais additionner. Mais ca va, j’me sens bien. J’délire, ‘fin pas plus que d’habitude, j’tiens encore des propos cohérents, ouais, cohérents dans mon monde, certes. C’est pas comme si j’me levais tous les matins pour aller faire un marathon dans les rues en hurlant à la mort. Bon, c’est pas faux que j’ai fait du skate dans la fac, mais ca va, c’était rien, j’étais tout à fait conscience d’être à poil, j’suis pas fou j’te dis. Mais bordel va te faire foutre enfoiré ! « Arf, vous savez, chui pas doc moi, parait que c’est une tumeur ou un truc dans le genre, en gros, il me reste plus longtemps quoi ! » Je hausse les épaules. J’crois que c’est bien la première avec qui j’en parle qui fait pas partir de la famille et qui est pas toi. C’est bizarre…vraiment bizarre. Au fond j’ai pas envie de m’étendre là-dessus, c’est pas le plus important, moi ce que je veux c’est en savoir plus sur elle. « Wouaaaaw ! Trop de questions, vous savez j’ai qu’un cerveau, vous posez déjà la deuxième question que je me souviens plus de la première ! » J’éclate un peu de rire amusé. Ce que cette psy dégaine, on dirait Clint Eastwood dans un de ses westerns en mode sauveur de la veuve et de l’orphelin. « Donc, euh…comme j’vous ai dit, j’vais bientôt mourir alors autant en profiter non ? Au moins quand j’aurais trouvé la bonne j’vivrai pas assez longtemps pour m’rendre compte que j’me suis gourré ! » J’ris encore. Elle était plutôt drôle ma blague, t’en dis quoi Sid ? J’ai jamais cru aux histoires éternelles, j’ai beau avoir ma part de romantisme, j’sais que ça existe, faut pas s’leurrer mais j’ai un point d’avance sur les autres que j’aurais pas l’temps de m’rendre compte que j’ai merdé, avec divorce et pension alimentaire sur les bras, en plus du cœur brisé. Ca ferait longtemps que le mien battrait plus, ouais, j’ai plutôt le beau rôle. En tout cas, j’espère juste pas avoir de gosse, non pas à cause de mes gênes mauvaise langue, juste qu’un orphelin, ce sera pas le pied, le pauvre t’imagine, venir se recueillir sur la tombe d’un mec qu’il connaitrait même pas et puis, j’veux pas de tombe moi, on m’fera cramer et me balancera à la mer ou un truc du genre. Ouais, moi aussi j’trouve ça trop badass. « J’suis même pas sur de comprendre votre question, c’est comme si on vous demandait ce que ça vous apportait d’être psy, ouais d’ailleurs, qu’est-ce que ça vous apporte ? Vous êtes de ces psys passionnés qui ont toujours voulu aider leurs semblables ou bien les autres qui ont leur propres problèmes et pensent qu’ils pourront oublier les leur ou se soigner en écoutant les gens déblatérer sur leur vie ? » C’est sortit tout seul, comme la moitié des choses que j’peux dire, putain, ça m’ferait pas de mal de fermer ma gueule de temps en temps, t’as raison. « J’voulais pas vous agresser ou quelque chose du genre, c’est juste que j’ai toujours entendu dire que les psys étaient pas plus sains que leurs patients » Je hausse encore les épaules. Bon j’sais pas ce que t’en penses mais j’crois que je m’enfonce à donf là. J’étais censé faire bonne impression non ? En mode j’suis intéressant et j’mérite que vous vous intéressez à moi plus que comme votre patient qui aide à remplir votre compte en banque. C’est raté, ah putain, un filtre à conneries me fera pas de mal. « Concrètement ? J’sais pas. J’y ai jamais pensé en fait, à la fin du lycée j’ai voulu voyager je l’ai fait, j’voulais découvrir le monde, rencontrer des gens différents, vivre différemment et j’ai pas été dessus. La chose la plus importante que ça m’a apporté c’est sûrement l’éclate et des centaines de milliers de souvenirs ! » J’ai sûrement le regard brillant, avoue Syd qu’on s’est grave éclaté pendant ces années, tout ce qu’on a vu, tout ce qu’on a fait, putain, sûrement la meilleure partie de toute mon existence. Bon ca pas été facile tous les jours, c’est même certains mais merde, qu’est-ce que c’était bon. Comme si la réalité me rattraperait jamais…ouais, m’enfin tant pis. « En tout cas, vous semblez passionné de voyage, si un jour vous en avez l’occasion, partez, même si pour cela faut abandonner tout ce que vous connaissez, ça vaut l’coup » voilà que j’parlais encore beaucoup mais dans l’fond c’était pas faux. Ici on est tellement obsédé par notre futur, notre situation, métier, cours et j’en passe qu’on en vient à oublier les trucs simples qui valent tellement mieux que ce quotidien morne et vide de sens. « Et qu’est-ce que j’suis censé savoir sur vous au juste ? » que j’lui demande alors. Ma belle, sache-le, j’suis pas prêt de lâcher l’éponge, j’obtiendrai les informations qu’il me faut sur toi, c’est moi qui te le dis. « Vous êtes psy depuis longtemps ? » Que j’demande en regardant un peu autour de moi, parait qu’on apprend pleins de choses sur les personnes grâce à leur décoration mais faudra qu’on m’explique comment parce que j’ai jamais compris cette théorie. Genre la déco c’est une boule de cristal qui te fait un topo sur la personnalité et l’histoire, ou bien ? « Vous pouvez quand même répondre à cette question non ? C’est pas comme si je vous demandais d’aller boire un café avec un moi, un jour, là vous devriez répondre non ? » L’éthique, secret professionnel….t’as pas tort, les deux ont rien à voir mais bon, ça s’rejoint non ? ‘fin j’sais pas, ptain elle m’fait perdre mes moyens. « Et si c’est pour un verre, vous devriez aussi répondre non ? J’vous jure que j’suis en âge d’en acheter et d’en consommer » Putain, j’me fais pitié à moi-même, promis. C’est quoi ce plan qui ferait de la peine même au pire dragueur de cette planète ?