Quand le diabète te tient...

Une journée de plus à l’hôpital, avec la fin de l’année universitaire je m’étais proposée pour obtenir plus d’heures encore que ce que j’avais en temps normal. Je ne le faisais pas juste par plaisir mais parce que j’allais m’absenter pendant quelques semaines en fin de semaine, pour le Coachella. Je participais à l’événement bénévolement du côté de l’infirmerie, ils avaient besoin de personnel et je gardais en tête que ça allait être un plus non négligeable sur mon CV. Le directeur de l’hôpital m’avait d’ailleurs personnellement recommandé de le faire pour avoir une expérience supplémentaire, il y allait avoir du monde, nous risquions d’être submergés par les petits bobos mais pour moi c’était vraiment amusant. Je ne me délectais pas avec sadisme des douleurs des autres, j’éprouvais juste du plaisir à les soigner. Heureusement dans un sens, il me fallait du courage pour affronter des patients qui n’étaient pas toujours très sympathiques avec leurs médecins alors à quoi bon exercer s’il n’y avait aucun plaisir à le faire ?

Aujourd’hui je m’occupais des urgences mais j’allais faire une pause le temps d’un rendez-vous callé en urgence par un jeune patient que je suivais depuis l’année dernière. Noah Swanson, il était atteint d’un Diabète très compliqué à traiter car en mutation régulière. Il ne me simplifiait pas vraiment la tâche non plus, il détestait cette maladie et ne faisait pas vraiment le nécessaire pour se soulager, son traitement, il le prenait irrégulièrement et ça causait souvent des petits problèmes. Lorsqu’il prenait rendez-vous, je le savais, c’est qu’il était vraiment malade. Il tâchait de venir ici le moins souvent, détestant les hôpitaux. Je m’étais donc trouvée un peu de temps dans l’après-midi pour pouvoir le recevoir dans l’un des cabinets, celui qui était libre depuis quelques semaines en attendant l’arrivée d’un nouveau chirurgien pédiatrique. Il n’en restait plus qu’un à présent, c’était à notre avantage, nous, les internes, avions de quoi recevoir certains patients alors qu’en temps normal nous étions obligés de les confier aux médecins titulaires, faute de place. Ma blouse blanche sur le dos, mon badge sur le côté avec mes stylos et mon stéthoscope autour du cou, j’étais parée pour recevoir le jeune garçon. « Noah Swanson ! » Je l’appelle, il se lève et une fois qu’il arrive à ma hauteur je lui tends la main. « Bonjour, comment allez-vous ? » Je le laisse entrer dans le cabinet, m’installant sur mon siège pour ouvrir son dossier sur l’ordinateur qui était mis à ma disposition. « Dites-moi tout ! »

Noah a une très mauvaise mine aujourd’hui, il est pale, signe qu’il ne va pas bien. Il ne vient pas lorsqu’il a d’autres solutions, il doit vraiment y avoir quelque chose qui ne tourne pas rond, probablement un problème de dosage car, voyez-vous, le jeune garçon a une forme de diabète très embêtante car en constante mutation. Il risque de devoir abandonner les comprimés pour les piqures très rapidement même si je sais qu’il le redoute. Je lui demande naturellement si tout va bien. « Tout va bien... » Je commence à le connaitre par cœur, je sais très bien que ce n’est pas le cas, j’incline donc légèrement la tête pour lui lancer un regard qui parle suffisamment pour qu’il comprenne que je n’y crois pas une seule seconde. « Énorme maux de tête qui ne se passe pas, envie d'uriner beaucoup trop souvent, j'ai toujours soif et j'ai des glycémies qui dépassent les 20 depuis deux semaines... » Je manque de m’étouffer, depuis deux semaines ? Sérieusement ? « Depuis deux semaines ? Vous savez qu’il est urgent de consulter un médecin lorsque votre glycémie est supérieure ou égale à 20 mmol par litre ? C’est très dangereux ce que vous êtes en train de faire. » Il baisse la tête, je sais qu’il a énormément de mal à accepter sa maladie, c’est compréhensible, mais il doit faire ce qu’il s’impose pour continuer à vivre son quotidien comme une personne normale. « Je ne veux pas avoir à me piquer à l'insuline... Tout sauf ça... » Les larmes envahissent ses deux yeux, je pose instinctivement ma main contre la sienne, je suis comme ça, je sais qu’il n’est pas bien de lier des liens avec les patients mais je me dis qu’il faut être capable de les rassurer, de leur faire comprendre qu’ils peuvent avoir confiance en nous. « Tu sais, les diabétiques qui ont besoin de piqures d’insuline trois à quatre fois par jour ne vivent pas moins bien que toi et moi. Tu devras surveiller ton alimentation et ça risque d’être agaçant au départ, mais tu seras toujours capable de vivre comme une personne normale, tu m’entends ? » J’essaye de capter son regard pour le rassurer. Je me lève, lui fais signe de me rejoindre pour qu’il s’allonge sur le siège médical destiné aux consultations. « Je vais te prélever un peu de sang pour vérifier ton taux de glycémie, as-tu consommé beaucoup d’aliments trop sucrés dernièrement ? Tu es stressé ? Tu as un second traitement parallèle ? De la cortisone par exemple ? Tu as réduit tes activités sportives ? »

Noah est fragilisé, il n’a pas bonne mine du tout et je suis donc logiquement inquiète. Je suis son médecin après tout, je me dois d’avoir toujours une pointe d’inquiétude concernant mes patients, c’est ainsi qu’on donne le meilleur de nous-même en offrant des diagnostiques vraiment travaillés, on évite aussi les erreurs de cette manière. « Je cours maintenant une heure et trente minute par jour, je ne mange aucun sucre, j'ai même coupé dans les fruits et pour ce qui est des médicaments, je ne prends que des comprimés pour les maux de tête. » Je l’écoute attentivement, on ne peut donc pas s’arrêter à un pic dans ses habitudes, il a, au contraire, réduit certaines mauvaises habitudes alimentaires et opté pour plus de sport. Il ne prend pas non plus de traitement qui pourrait faire bondir de cette manière le taux de glycémie dans son sang. Non, c’est donc son diabète qui n’est pas stabilisé, je sais qu’il ne veut pas avoir à se piquer mais nous nous approchons à grand pas de cette solution, la plus efficace et je me sens obligée de le rassurer, de lui expliquer que l’on peut vivre aussi bien avec les piqures qu’avec les comprimés, c’est juste une habitude à prendre. Je lui demande de s’installer sur le siège pour que je puisse lui faire une prise de sang. Il se lève et chavire un instant, je bondis de ma chaise pour venir le soutenir, et l’aide à s’allonger sur le siège. « Ok, je n'en peux plus... N'importe quoi... J'accepterai n'importe quoi pour que ce mal de tête disparaisse pour toujours... » Je m’empare d’un gros élastique. « Je te laisse tendre le bras ! » J’enroule l’élastique autour de son bras pour faire ressortir ses veines, je prépare mon aiguille et une petite fiole, je passe plusieurs cotons avec des produits désinfectants sur ses veines, me préparant à piquer. « Vous avez attendu trop longtemps avant de venir me voir ! Vous en avez conscience j’espère ! » J’enfonce l’aiguille dans son bras, il grimace mais ne bouge pas, me laissant faire mon travail et prélever deux fioles de son sang.

Noah n’aime pas les piqures, il essaye toujours de trouver d’autres solutions mais avec son diabète il n’a jamais vraiment eu le choix et ça ne va pas aller en s’améliorant. Les comprimés suffisaient auparavant mais ce n’est plus du tout le cas à ce stade et il va donc devoir se faire à l’idée des injections régulières d’insuline pour réguler le taux de sucre qu’il a dans le sang. Je tâche d’être la plus douce possible et de toujours garder un contact visuel, je le connais maintenant et je sais que ça lui évite d’être concentré sur ce que je suis en train de lui faire. Je quitte néanmoins un bref instant son regard pour ne pas piquer à côté de la veine puis je relève les yeux pour lui sourire, confiante. Je lui retire le gros élastique qui permet de gonfler les veines du jeune garçon afin que le sang puisse plus rapidement remplir les trois ou quatre petits récipients en verre que je dois compléter pour faire des analyses complètes. « C'est bon, je le sais, pas besoin de me le répéter quarante fois. » Je crois qu’il n’a pas aimé que je lui fasse une nouvelle leçon de morale mais il me parait vraiment important qu’il prenne conscience du risque que cela peut représenter s’il se laisse dépasser. « Je ne serais pas un bon médecin si je ne te rabâchais pas les oreilles avec cela Noah ! » Je retire le dernier flacon de sang puis, après avoir pris un gaze pour appuyer à l’emplacement où se trouve mon aiguille je la retire. « Appuies fort ! » Je le laisse maintenir une pression régulière pendant une bonne minute puis je recouvre le gaze d’un morceau de sparadrap. « Bon, là, il faudrait déjà que vous me redonniez un petit cours 101 sur ma maladie parce que je n'ai pas vraiment tout retenu ce que vous m'aviez dit la dernière fois... » Je souris, j’ai l’habitude de devoir répéter et expliquer mes diagnostiques, c’est très important pour les patients de tout savoir sur ce qu’ils ont alors autant faire le maximum pour eux. « Le diabète provient d’un disfonctionnement du pancréas, ce disfonctionnement entraine des troubles dans la gestion du sucre que tu as dans le sang puisque le pancréas ne délivre pas suffisamment d’insuline dans ton corps. »