▬ we are young ▬ maggie et brad.

« Maggie, bouge-toi ! » Je cri un peu au volant de la voiture le temps que ma sœur mette encore un de ses sacs dans le coffre. Je crois bien qu’elle se bat un peu pour faire tout rentrer à l’intérieur, et j’avoue que ça me fait sourire comme un idiot. Quand elle ouvre enfin la portière du côté passager, je lui offre un sourire avant de lui demander « C’est bon, prête ? » Le temps d’entendre sa réponse et je tourne la clef de la voiture afin d’allumer le contact. En route pour le festival. Évidemment, elle va y camper,  étrangement, je n’ai même pas douté de ça. Maggie va là-bas pour profiter, bon moi aussi c’est vrai, mais il y a l’autre côté, le côté professionnel que je porte d’ailleurs autour du cou. Carte de presse. Ça fait tellement sérieux, quand on y pense. Journaliste confirmé, ça faisait vraiment de temps que je le voulais, que je n’ai pas l’impression de réellement réaliser. Bradley Wallace prêt à interviewer toutes les célébrités qu’il croisera. Ouais, ça en jette, et ça n’arrange en rien ma prétention, faut l’avouer. Après quelques minutes dans le silence, j’appuie sur le bouton de l’autoradio pour l’allumer. « Choisis mais épargne moi le style trop … fille ? » Ce n’est pas vraiment une interrogation, bien au contraire, je crois bien qu’il n’y a pas plus affirmatif que cela. S’il te plait, Maggie me fais pas subir ça. J’esquisse un sourire, et sans le comprendre je regarde ma main gauche, l’anneau qui s’y trouver. La discussion que j’ai eue avec Anna. La prise de conscience. Notre chemin qui va se séparer. C’est fini, ça a été dit, cette fois. Il me semble même qu’elle est allée voir l’avocat. Nerveusement, mon pouce fait rouler la bague autour de mon doigt, et puis … « Mag’, en fait, le voyage ensemble, tout ça, c’était pas juste pour ne pas que tu prennes le bus. » Il vaut mieux que ce soit moi qui lui dise avant que ce soit elle, après tout, je suis son grand frère, et j’ai pris une décision. Et notre proximité, notre complicité n’en serait que bafouée si je ne prenais pas le temps de la mettre au courant de cela. « J’ai un truc à te dire. » Allez Brad, crache le morceau. Pourquoi c’est autant difficile que ça ? Parce que ça rendra la chose réelle, et que je ne suis pas certain de vouloir en sortir, en fait, ma vie, c’était devenue une simple routine. Le futur, je sais bien qu’il sera grand, et j’en fais un truc bien trop important.

« Maggie, bouge-toi ! » Brad me presse, pour la troisième fois au moins, pendant que je tente tant bien que mal de trouver où foutre ce dernier sac de fringue. Ce sont des vacances qui s'annoncent dingues et chauds à Coachella. Et pour l'occasion, je me suis équipé de trois ou quatre sacs, plus la tente de camping. Ça fait beaucoup, je sais. Mais après tout je suis une fille. C'est une excuse parfaite pour pardonner nos excès de bagages. Et pourtant j'ai pris de minimum syndical ! Mais ce coffre refuse de faire prendre ce dernier sac. Je pousse quelques affaires comme je peux et finis enfin par lui trouver une place. Très étroite mais une place quand même. A vue d’œil, cette partie de Tetris s'est terminé en un gros bordel. Je ne sais pas si Brad aurait approuvé. Mais si ça tient, j'ai pas à m'en faire. Je râle entre mes dents à sa remarque, ferme le coffre, et grimpe dans sa petite voiture. « C’est bon, prête ? » Il me demande avec un sourire étincelant. Je soupire, soulagée d'en avoir finir avec ce rangement infernal. Puis, lui souriant à mon tour, de toutes mes dents, je lève les pouces et déclare « Coachella nous voilà ! ». Il rit doucement et démarre enfin la voiture. Posée, j'en profite pour retirer mes chaussures et mettre mes lunettes de soleil. Je pense déjà à mon séjour là-bas et toutes les personnes que j'ai prévu de retrouver, celles que je vais rencontrer, et toutes ces soirées folles qui s'annoncent. Ça me rend heureuse. C'est les vacances parfaites pour tourner la page sur cette année interminable.
A côté de moi, Brad allume la radio et me dit « Choisis, mais épargne moi le style trop … fille ? ». Vraiment ? Je le regarde avec surprise, pendant une seconde. « J'ai une tête à écouter Spice Girls ? » Ma remarque lui arrache un sourire en coin. Je n'ai pas des goûts extrêmement hors du commun, je vous l'accorde, mais quand même... Je zappe rapidement sur les différentes stations avant de m'arrêter lorsque j'entends un hit de Maroon 5. Je demande alors à Brad en espérant qu'il réponde positivement « Ça te plait ça ? ». J'adore Maroon 5, et ce son, Daylight, nous plonge dans une pré-ambiance festive qui me réjouit. Mon pied danse en rythme sans même que je ne m'en rende compte et je commence à chantonner les paroles... Quant Brad me coupe, avec un ton un peu sérieux. « Mag’, en fait, le voyage ensemble, tout ça, c’était pas juste pour ne pas que tu prennes le bus. » Je le dévisages, attendant la suite des événements. Moi qui croyais un élan de sincère gentillesse... -Bien sur, je rigole- « J’ai un truc à te dire. » Sa phrase se coupe nettement et je sens qu'il évite mon regard. Comme lors de nos conversations tendues sur son couple ou ses emmerdes de mari désobéissant. Je m'attends à une nouvelle connerie. Le même scénario, mais avec une autre nana. Encore. Je pense à Anna et ma compassion pour elle me fait ravaler ma salive, légèrement mal à l'aise. Je crains quelque chose de mauvaise. Alors, je tâte un peu le terrain... « Humm... Est-ce que c'est quelque chose qui va me faire plaisir, style tu vas interviewer Drake et tu m'invites ? Ou pas ? » Malgré toutes mes appréhensions, je lui tends un sourire presque amusé. Je décide de la jouer détendue et blagueuse, pour ne pas de suite perdre cette bonne humeur et cette joie que j'avais trouvé à l'idée de faire ce trajet avec mon frère.

« Coachella nous voilà ! » Je ressens la bonne humeur de ma petite sœur dans toutes les parties de mon corps et j’avoue en oublier quelques secondes le sérieux de la situation, la réelle raison à notre road trip improvisé. Parce qu’elle est la seule qui me comprend, ou tout du moins qui en donne l’impression, et qui n’est jamais trop dure avec moi, même lorsque je foire complétement les choses, donc à chaque fois. Quelques secondes plus tard, on démarre, et je la taquine sur la musique, sa réaction me fait doucement rire. Je sais bien que ce n’est pas son style, mais je ne serai pas un grand frère digne de ce nom si je ne lui avais pas fait de réflexion. En haussant les épaules, je la laisse finalement décider, en silence, soucieux déjà de savoir quels mots je vais pouvoir employer afin de lui raconter comment j’en suis venu à mes conclusions étranges au sujet de cette vie que je n’ai jamais su contrôler. Elle me demande si ce qu’elle a choisi me convient, et j’approuve d’un faible « mhm » concentré sur autre chose en vérité. Alors je me décide à prendre les devants, à lui dire que si nous sommes ici, ce n’est pas au hasard, bien loin de là même. « Humm... Est-ce que c'est quelque chose qui va me faire plaisir, style tu vas interviewer Drake et tu m'invites ? Ou pas ? » Je lui lance un regard en biais et un sourire fin se pose sur mes lèvres, je comprends bien vite ce qu’elle essaie de faire, de détendre l’atmosphère avant même que je ne l’ai faite redescendre en flèche. Je pince mes lèvres, et nerveusement ma main gauche lâche le volant afin de venir se loger dans ma nuque. Je nous enferme volontairement dans un silence pesant. Je racle même ma gorge afin de gagner du temps. Je ne sais pas par où commencer, ni même quelle solution semble la meilleure à mes yeux. Aucune en résumé, j’ai comme l’impression de ne pas pouvoir m’échapper. Mais c’est bien ce que je recherchais non ? Arrêter de fuir. Assumer. « J’ai embrassé Sofia. » Je sais qu’elle va de suite savoir de quelle Sofia je parle, de toutes les façons, dans ma vie il n’y en a qu’une et il y a quelques jours encore elle n’était que ma plus précieuse amie. Elle était un tout perdu dans un océan. Et je ne l’avais même pas vu avant cela, ne pensant pas la mériter ou je ne sais quoi. « Et ça s’est mal terminé. » Comme à chaque fois, mais j’ai envie de croire à la différence pour cette fois.

Tranquillement, je m'installe dans la voiture, retirant mes sandales et retroussant une jambe sur mon siège. Maroon 5 berce ma bonne humeur quand Brad m'annonce quelque chose d'important. Connaissant la vie amoureuse de mon frère, j'appréhende un peu mais reste positive malgré tout. En somme, je suis tellement contente de faire ce voyage avec lui. Je m'amuse à lui demander s'il est sur le point de me demander de l'accompagner sur une interview. On ne sait jamais s'il répond oui, il y a peut-être un peu d'espoir -quoi que. Je le regarde à travers mes lunettes tandis qu'il se gratte l'arrière de la tête, comme toutes ces fois où il est gêné. J'ai envie de rire, mais le silence qu'il installe me laisse comprendre que les choses sérieuses commencent. Pas de Drake alors. Tant pis pour moi. « J’ai embrassé Sofia. » Tiens donc. Est-ce bien la Sofia à laquelle je pense ? La seule et unique qu'il connaisse je crois bien. Pourtant je ne pensais pas qu'ils fricotaient tous les deux. « Et ça s’est mal terminé. » Ça craint. Je grimace, parce que je sais qu'il est déçu. C'est sur son visage. « Ah. » C'est comme si, à chaque fois que la situation devient sérieuse pour lui, tout foire. Comme pour moi d'ailleurs. Ça doit être de famille... Mon regard toujours posé sur Brad, je demande des détails. « C'est à dire ? Elle t'a envoyé bouler ? » J'aurai du mal à croire que Brad ne lui plaise pas. C'est à coup sûr à cause de leur amitié. C'est toujours ça la raison de toute façon... Puis il y a encore ce soucis énormissime qui bouche toutes les perspectives de Brad. Anna. Leur mariage. Sofia semble être une nana géniale et respectueuse ; elle a dû vouloir respecter ça. Et c'est tout à son honneur, malgré le bon vouloir de mon frère.

Quand sa première réaction est de grimacer, je me dis qu’elle ne m’aide pas forcément là. Merci Maggie, non vraiment merci. « Ah. » De mieux en mieux en matière de répartie. J’arque les sourcils en la regardant. Je suis le seul à être surpris de dire que j’ai embrassé Sofia ? Non parce que ce n’est pas commun comme information. « C'est à dire ? Elle t'a envoyé bouler ? » Instinctivement je me mets à rire, quoi que non, pas instinctivement, plutôt nerveusement. La façon que possède ma sœur de simplifier les choses me fera toujours halluciner. Comme si le problème ne venait que du fait qu’elle m’ait envoyé bouler. Bon bien évidemment, elle l’a fait, et pas qu’un peu en plus de cela. Mais en plus de gâcher notre amitié, j’ai réussi à passer pour le connard de service. Comme d’habitude à la vérité. Je crois bien que rien ne pourra me changer, même mon divorce imminent ne semble pas être suffisant. « Tu connais Sofia. » Je lui dis comme si c’était vraiment le cas, alors qu’elle n’a, en vérité, que croisé mon amie quelques fois. Sûrement pas assez pour connaitre toutes les valeurs de la russe qui hante mes pensées. « Elle est … » Elle est quoi ? D’une perfection incroyable qui me donne envie de me cacher dans un coin tant je ne suis pas à la hauteur ? Ouais, il y a bien une fille qui me donne cette envie-là, bon sang, ce n’est pas juste quand on sait combien j’ai pu jouer au plus malin avec toutes les femmes de ma vie, toutes celles qui sont passées dans mon lit. « Déjà elle est trop bien pour moi, ça c’est un fait qu’on ne peut pas ignorer, tu vois ? Et puis, elle a surement été surprise aussi. Et bloquée par Anna. Mais le truc qu’elle sait pas c’est moi l’embrasser, ça m’a retourné, bordel. Alors je sais pas vraiment quoi faire, j’ai besoin de conseils. » Clairement, oui. « De conseils venant d’une fille, Maggie. » De toi, petite sœur.

Je ne suis pas certaine de vraiment réconforter mon frère quand je vois sa tête. Je veux bien croire que je ne suis pas d'une grande aide sur le coup... « Tu connais Sofia. » Je souris, parce qu'il me répond ça comme s'il s'agissait une évidence alors que ça n'est pas le cas. « Bah... non, pas trop justement. » Je la connais à peine, via ce que Bradley m'en a dit. Elle a l'air d'être une nana géniale et je crois comprendre à quel point il tient à elle. Même si je reste à moitié surprise qu'il soit allée jusqu'à l'embrasser. On parle toujours de Brad là. En tout cas, sa répartie me laisse comprendre qu'elle n'a pas dit Amen à son baiser et que, oui, surement qu'elle l'a envoyé bouler. Connaissant l'affection que mon frère lui porte, je sais que ça le tue de savoir qu'il a brisé quelque chose entre eux. Il tente de batailler avec les mots pour m'expliquer la situation. « Déjà elle est trop bien pour moi, ça c’est un fait qu’on ne peut pas ignorer, tu vois ? Et puis, elle a surement été surprise aussi.  Et bloquée par Anna. » Tu m'étonnes. Il faudra qu'on en parle de ça aussi ! Comme à chaque fois d'ailleurs. Quand on parle de la vie sentimentale de Brad, ça passe forcément par la case Anna. On ne peut pas négliger un aussi gros détail que le mariage. « Mais le truc qu’elle sait pas c’est que moi l’embrasser, ça m’a retourné, bordel. Alors je sais pas vraiment quoi faire, j’ai besoin de conseils. » Je souris doucement quand il dit avoir été retourné. Il parle avec tellement de sincérité et de sentiment que c'en est touchant. Ca fait vraiment trop longtemps que je n'avais pas vu mon frère si affecté par une femme. « De conseils venant d’une fille, Maggie. » Les yeux dans les yeux, je souris. Une nouvelle fois, j'ai l'impression d'avoir le rôle du plus âgée. Cela dit, niveau conseil, je ne suis pas la plus apte à répondre. J'avale ma salive un instant. Je n'ai jamais été dans la même situation que Sofia, mais je tente de me mettre à sa place, comme je peux. « Vous en avez reparlé depuis ? » Immédiatement, je viens baisser le son de la radio, afin de nous entendre mieux parler. Ca donne un côté un peu trop sérieux à notre conversation. « Parce que je pense que la moindre des choses après ce moment... ambigu entre vous, serait de t'excuser et de t'expliquer. Nan ? » Je ne suis peut-être pas la mieux placée pour parler mais s'il y a bien une chose dont je suis certaine c'est que le dialogue les aidera. Beaucoup ! J'ai envie de lui dire d'être franc et d'aller droit au but, mais de la part d'un homme marié, cela peut faire peur. Surtout si elle est déjà maman. Je ne suis pas quelqu'un qui a l'habitude de tourner autour du pot. Alors inévitablement j'étale les cartes sur la table, bonnes comme mauvaises. « Je pense qu'il faut que tu te mettes à sa place Brad. Elle a une gamine dont elle doit s'occuper, alors qu'elle est seule. Et son amie proche craque sur elle, alors qu'il est marié. Vous faites vraiment pas dans la facilité sérieux ! » Associer Brad à la simplicité c'est comme associer un bon Big Mac à des légumes bio. Ca ne va pas ensemble. « Tu vas devoir être patient. »