On s'est déjà vu quelque part je crois. (ft. Priam)

Minuit passé et la soirée bat son plein au Heineken Beer Garden. C'est le bordel, y a du monde partout, et les deux tiers des gens sont complètement bourrés. Moi y compris. J'ai perdu Alice dans la foule. Je crois qu'elle s'est faite abordée par des mecs chelous. J'aurai bien aimé m'assurer qu'elle va bien mais avec mes trois grammes, je les ai perdu de vu en deux secondes. Je regarde autour de moi et seule, au milieu de cette foule, je me sens vraiment conne. De trop. Alors je vais me trouver un petit coin un peu reculé dans le gazon légèrement humide du jardin. Je voudrais bien me griller une clope, mais j'en ai pas... J'ai que mon briquet, mais clairement, il me sert à rien sans cigarette. Je vois un petit groupe de mec juste à côté de moi, dont un qui s'enfume la gueule avec ce qui me fait envie depuis tout à l'heure. « Salut les gars. Vous auriez pas une ciragette ? » Oh putain ! Je suis vraiment mal. J'arrive même plus à parler clairement. Ça les fait rire un peu. « Euh, une cigarette je veux dire... » Je rigole avec eux de l'air ridicule que je dois me taper. Et enfin, je les regarde vraiment. Je capte les visages un par un avant de tomber sur un qui m'est familier. Après un petit temps d'analyse, je le reconnais enfin. « Priam ! » Ouais, le mec que j'avais fait chier en cours de culture gé'. Il devait en voir marre de moi, me voir revenir à la charge.

Ma tête tourne à vrai dire, et je finis les genoux de ce gars que j'avais cru reconnaître mais qui apparemment, lui, ne me reconnait pas. "Avoue, on c'est déjà envoyé en l'air dans le bureau du proviseur..." Me sort-il avant de partir dans un fou rire sans fin avec ses amis. Je hausse un sourcil avant d'esquisser un sourire. "T'aurais bien aimé !" Son ami renchérit sur ce fantasme en disant que c'est ce dont il rêve. Apparemment avec une certaine Blake Lively. Je sais même pas qui c'est cette pin-up. Mais s'il me confond avec elle, c'est qu'elle doit être canon. Quelle déception quand il va apprendre que je lui la lourdingue qui l'a fait chier à la fac. Quoi que, s'il ne se rappelle plus de moi, je suis sauvée. Pas pour longtemps en tout cas. Parce que parmi tous ces mecs déchirés et en chien, je commençais à me sentir de trop. "Tu t'appelles comment ? Si tu me dis Blake, je te fais l'amour directe où tu veux." Je rigole un bon coup, peut-être parce que je sais qu'il se trompe complètement ou alors parce que je suis complètement refaite et que ça sort tout seul. Je me redresse d'un coup, et ma tête tourne encore. Je ferme les yeux dans l'espoir de calmer ce mal et retrouver des repaires. M'asseyant à côté de lui, je réponds : "Ça aussi t'aimerais bien. Mais non, raté, moi c'est Maggie." Ça se trouve, il ne se souvient même pas de mon prénom. Chose très probable d'ailleurs puisqu'on n'a passé que une heure ensemble, et qu'en plus de ça, il n'a pas toute sa tête ce soir. Alors je précise avec ironie : "Ta super pote en cours de culture gé', qui t'envoie des petits mots." Un sourire niais se dessine sur mon visage et je m'appuie sur son épaule. Ses potes sifflent et font des remarques bizarres par rapport aux petits mots. Pour une fois que y a rien de sexuel. J'vous jure ces mecs...

Priam est complètement refait. Il se marre tout seul comme un con quand je lui dis mon prénom. Il arrive même à en tirer des jeux de mot. « Bole ? » Il nous faut, à moi et ses potes, un bon temps de réaction pour comprendre son humour. Non en fait, moi j'ai pas compris. « Bah non, Maggie tout court quoi. » Un grand moment de solitude s'affiche sur son visage quand il comprend qu'on est pas sur la même longueur d'onde. « Maggie-bole. Vous comprenez là. J'aurais pu dire tare pour Maggie-tare. » OH PUTAAAAAIN ! Ça y est, j'ai le déclic. Et je pouffe de rire d'un coup. Pas vraiment pour la blague mais pour le niveau, que personne à saisi. Je capte enfin sur quel fréquence il est, et j'en ris à en avoir mal au bide. Quand je lui précise le coup des mots discrèts en cours, il se donne un air de gars classe. A vrai dire, je ne sais toujours pas s'il voit qui je suis. Je ne crois pas en fait. Mais c'est pas grave. C'est l'occasion d'effacer cette première approche ratée et de repartir sur un bon pied. Surtout maintenant qu'il est soûl. Une serveuse arrive avec un pichet d'alcool et il s'enflamme. « Allez Mag... ah je sais plus, j'vais t'appeler bole, c'est plus simple. Bole tu dois boire un coup ! » Je rigole un bon coup. Ouais, Bole c'est marrant comme surnom. Tant que ça reste entre nous. Peut-être que demain, il aura -encore- oublié qui je suis tellement il aura fini torché. C'est un peu comme un recommencement à chaque fois. J’attrape le verre qu'il me sers. J'arrive pas vraiment à savoir ce qu'ils ont foutu dedans. Je ne suis tellement pas net moi non plus que j'ai l'impression que ce verre est trop fois trop gros. Ça rentrera jamais tout entier dans mon estomac. Je les regarde -hasardeusement puisqu'ils sont un peu flous- avec hésitation. Et ils se mettent tous à chanter en cœur pour m'encourager, me forcer à boire. Et puis merde, c'est la fête à Coachella non ? J’attrape cet immense verre et bois. Une gorgée, puis deux, puis trois. Et je le finis d'une traite, le posant enfin sur la table, un peu fort. Tous crient en cœur, et je crie même avec eux, levant les bras au ciel comme si j'avais accompli un miracle. « A toi ! » Dis-je à Priam en lui tendant un verre rempli posé au milieu de la table. Je relève la tête vers lui, et elle tourne. Elle tourne un peu violemment. Mon ventre me lance et j'ose à peine dire. « Merde, je crois que je vais vomir ! » Dans la seconde qui suit, je me lève, fait deux pas vers un arbre contre lequel je m'appuie, et je rend tout ce que je venais de boire pendant les heures précédentes. Putain ça fait mal au ventre ces remontées. Quelques personnes autour de moi, dégoûtées, se reculent en poussant des cirs outrés. Et derrière moi, j'entends les mecs qui rigolent, fort ! Quels cons ! Je soupire quand je sens que mon mal s'est calmé, mais je me sens faible. Je ne suis pas certaine que la "nouvelle approche" soit si bien que ça finalement.

Tout mon poids appuyé contre cet arbre, je reprenais mon souffle doucement, en regardant les garçons chanter et rire aux éclats. C'est des tenaces, j'vous jure. Ma tête est lourde et j'ai vraiment chaud. Quand une nana avec un plateau passe à côté de moi, je l’interpelle, tentant de la regarder dans les yeux. « C'est de l'eau là ? » Je désignais son plateau rempli. « Euh nan. Enfin, ce verre-ci oui, sinon non. » Un verre, c'est déjà pas mal. Sans répondre, je l'attrape et viens me l'envoyer sur le visage, pour me rafraîchir. Ça fait du bien un peu d'eau. J'en suis arrivé à un point où j'ai l'impression que même les pores de ma peau dilatés sécrètent de l'alcool. Je lui rends son verre pendant qu'elle râle dans le vent. Je suis bien trop saoule pour écouter ce qu'elle me dis. Puis en fait, je m'en fous complètement.
A la table, Priam attrape le verre que je lui ai servi pour se l'enfiler d'une traite. Il rigole haut et fort avant de se retrouver le cul par terre en voulant se rasseoir. C'qu'il a l'air couillon ! Je ne peux pas m'empêcher de lui rire au nez en revenant m'asseoir avec eux à la table. « Même pas mal ! » Essaie-t-il de se justifier. Quand il dit ça, j'ai une impression de déjà vu. Ou de déjà entendu peut-être. Je ne sais plus. Mais ce qui est certain, c'est que je connais ce gars. Il me dit vraiment trop quelque chose, et ça me titille de ne pas trouver.
Lui, il continue d'insister, me resservant un nouveau verre qu'il me tend, un grand sourire plaqué sur ses lèvres d'alcoolique. « C'est de l'eau hein... » Wow ! Ce qu'il pue de la gueule aussi. Il sent l'alcool à deux bons kilomètres à la ronde. Je grimace face à son odeur, et ça le fait rire. Encore. Vous me direz, je ne devais pas non plus sentir la rose... « T'es sérieux là ? Tu vas m'achever. » Un sourire forcé, j'attrape ce nouveau verre et regarde la couleur du contenu. « Sans déconner, t'as grandi en Russie pour te bourrer la gueule sans partir en couille ? » Il met un temps avant de comprendre ma question. Je serai pas étonnée qu'il soit russe. Je suis certaine qu'il adore la vodka.

Je fais deux pas vers la table des garçons que Priam m'attrape par les épaules, pris d'un fou rire qu'il n'a toujours pas quitté. « Maggie ! Alors t'as miné le jardin ? » Son rire repart de plus belle, et je lui tire une moue raleuse. « La faute à qui hein ? » On retourne de ce pas se rasseoir à notre place, et pourtant, Priam rate sa chaise et finit le cul au sol. Je n'ai même pas la force de rire avec les autres. « Fais gaffe, toi aussi tu vas bientot finir par rendre tes tripes. » Sur la table, il y a tellement de verre que je ne vois même plus la couleur bois initiale du meuble. A côté de moi, le brun est complètement déchiré et ça me fait rire de plus belle. Il remonte avec difficulté sur sa chaise, toujours dans la bonne humeur puisqu'il me renvoie une nouveau verre presque débordant. Mon Dieu ce qu'il pue de la gueule, ça m'en donnerait presque des nouvelles nausées. Complètement HS, je le regarde avec de gros yeux ronds, demandant s'il ne lui manquait pas une case. Il doit venir de Russie ou je ne sais pas quel pays. « Russe ? Moi ? Bah ouais, c'est de la vodka que je met dans mes céréales le matin, tu crois quoi. Allez blondie et promis cette fois c'est le dernier, après tu pourra comater tranquille... » J'esquisse un pauvre sourire. En fait, il n'a rien d'un russe. Vu son état aussi mal que le mien (l'épisode vomi en moins), je peux assurer qu'il ne va plus résister longtemps. « Ouais, c'est ça. Et mon cul c'est du poulet ? » Vieille expression pour lui faire comprendre que sa crédibilité est plus bas que terre. Même si je crois bien que parler de mon cul ne va pas améliorer les choses.
Son sourire de con m'encourage à avaler ce nouveau verre. Je regarde le récipient avec dégoût. Mais après tout, ce n'est qu'une petit gorgée. Après ça promis je m'arrête. Grimaçant, je ferme les yeux et bois tout d'un trait. Je crie de joie en posant mon verre sur la table. Fait ! Ça y est, c'est fini. J'vous jure que s'il me repasse un verre, je le fais voler dans sa face.