Elle me dit quelque chose mais ça ne m'a pas vraiment l'air important alors je ne l'écoute pas. Je me contente de réfléchir, parce qu'évidemment, c'est bien connu : mes pensées sont bien plus importantes et intéressantes que toute conversation que je pourrais bien avoir avec elle. Elle me suggère de l'aider à trouver une idée et j'essaie de ne pas paraître offusquée face à une telle suggestion.
Moi ? Aider ? Trouver une idée ? Mais ... Pour qui se prend-elle ? Cela ne me sert à rien de me proposer son aide si c'est pour ensuite me laisser faire tout le boulot, hein ! Ahlala, je ferais bien de le lui dire, ça, d'ailleurs ... Puis, mon regard s'arrête sur le rouquin timide dans le fond et j'en oublie tout ce que j'aurais bien pu avoir à lui dire, à cette inconnue décidément bien bavarde. Le rouquin semble avoir remarqué mon regard et j'en profite alors pour lui faire un clin d'oeil, accompagné d'un sourire charmeur. Voilà de quoi occuper ses rêves pendant quelques mois, au moins !
Bref. Revenons-en à nos talons. Ou plutôt, à mes Jimmy Choo. Cassés. J'ai déjà mon discours de tout prêt.
"♪ Papa, il faut impérativement que je m'achète trois nouvelles paires de chaussures de soirée. Oui, je sais que j'en ai achetées il n'y a même pas une semaine mais il y a une paire qui s'est cassée alors je dois im-pé-ra-ti-ve-ment les remplacer ... Tu comprends ? ♪ [...] Des Jimmy Choo. [...] Non, je vais aller chez Louboutin cette fois-ci, je crois." ♪ En attendant, il me faut quelque chose à me mettre aux pieds, moi ! J'annonce donc ma pointure à ma nouvelle "amie", espérant que son 38 puisse coller avec mon 37.5 avant de tomber de haut lorsqu'elle m'annonce que son 38 est en réalité un 39.
Hein ... Mais ... Quoi ... ?! C'est quoi cette nouvelle amie en carton ? Elle a pas compris que des amies, ça servait pour se prêter des chaussures ? Comment on fait, nous, hein, si on est pas du tout de la même pointure ?
- Je confirme, il est hors de question que je chausse du 39, même pour tester ... Moi, snob ? Pas du tout ! Mais j'ai des petits pieds et il faut bien profiter des atouts que mère nature nous donne ... Certes, elle m'en a donné beaucoup, mais cela veut dire que je peux profiter davantage, quoi ! Me retournant subitement, je remarque cependant que la fille a ... Disparu. Tout simplement disparu.
- ... Ah bah, mince alors, elle est partie où, big foot ... ? Je marmonne entre mes dents avant d'essayer de marcher, tant bien que mal, avec un pied nu et un pied chaussé. Je manque cependant de trébucher et c'est pour cela que je me décide à m'asseoir, finalement, avant de me rompre le coup. Déprimée, je me dis que je ne pourrais jamais y aller, à cette rush week. C'est la fin pour moi, je n'ai plus qu'à m'accrocher un gigantesque diamant à la cheville et me jeter dans l'océan glacial ... Puis, attendre, que le froid m'enveloppe et m'épouse et que je devienne un avec l'eau ... Que ma chaire se décompose, lentement mais sûrement dans la solitude de l'océan avant que je ne sois plus qu'un meuble dans l'aquarium des poissons, un vulgaire sac d'os moisis et délavés ...
Telle serait ma vie si je ne peux pas être Alpha, car sans ça, la vie n'a pas de sens, n'est-ce pas ?
C'est alors qu'une ombre se profile au tableau, bloquant la lumière qui mettait bien en avant mon angle le plus flatteur et me forçant donc à lever des yeux. Il s'agit d'elle, à nouveau.
- Ah bah te revoilà, toi ! Je t'ai cherchée partout ! Bon, peut être pas, mais c'est l'intention qui compte, comme on dit, non ? Et puis, je croyais que tu ne reviendrais pas, en plus, je suis pardonnée du coup. Horrifiée, je la regarde enfoncer des mouchoirs au fond de chaussures noires basiques avant de les prendre par le bout des doigts et de les regarder avec hésitation.
Brrrrr. Porter des chaussures "rembourrées" ... ? J'en ai presque des frissons dans le dos. Barrez-moi ça : j'en ai totalement des frissons dans le dos. Contrariée, je me redresse sur le banc où je suis installée avant de tenter de mettre l'une des chaussures à mon pied nu.
- T'en as encore ou pas ? Parce que je crois qu'il n'y en a pas encore assez ...Ah, quelle plaie de devoir vivre avec de petits pieds ! Je ne sais pas ce que mère Nature pensait quand elle m'a créée parce que vraiment, la perfection, c'est trop difficile à vivre.