onzième intrigue ◊ Lola & Adélaïde

La facturation n'avait pas mis de temps à faire son apparition sur le relevé bancaire. Bien entendu, Emrys, son père, n'avait rien dit quant à cette somme anormalement grande et dépensée en une seule soirée. Il fallait dire qu'il connaissait sa fille sur le bout des doigts désormais et pourtant la raison l'avait étonné lorsqu'ils en avaient parlé. Elle avait acheté une fille... des yeux de merlan frit qu'il avait fait, avant qu'elle ne lui explique clairement qu'il ne s'agissait pas là de trafic d'humains mais bien d'une vente aux enchères avec consentement des participants au profil d'une association. Emrys n'avait alors pas cherché plus loin, faisant étrangement preuve d'une confiance aveugle envers sa fille. Leur relation était ainsi, elle l'avait toujours été. De toute manière, à partir du moment où Adélaïde ne vidait pas le compte en banque, il n'avait aucune raison de s'inquiéter et pour ça, bien qu'il pouvait parfois la connaitre capricieuse, il savait qu'elle avait la conscience de l'argent, ne serait-ce qu'à cause de son passé dont ils ne parlent jamais... ou plus, de peur, peut-être, de réveiller de nouveau Jane, récemment maitrisée, récemment dépourvue de toute influence sur Adélaïde. Aujourd'hui elle pouvait être fière de réellement faire ses choix et non pas se laisser guider par la maladie. Cela pourrait sembler bête pour certains mais pour la jeune femme, cette fierté passait par de petite victoire, comme à cet instant lorsqu'elle enfilait le dernier élément de sa tenue, tenue qu'elle avait choisi pour sa praticité et non pas parce qu'elle la mettait en valeur comme aurait pu faire Jane afin d'attirer tous les regards. Bien entendu, elle ne s'habillait pas non plus n'importe comment, elle savait se mettre en valeur alors elle continuait de le faire mais de façon plus subtil, tout simplement.

C'est ainsi, vêtue d'un simple jean et d'un haut qui avait le choix de finir dans un carton pour une association ou enduit de peinture qu'elle descendait du taxi, faisant claquer ses bottines à talons qui féminisaient sa tenue sur le sol. Pour cet après-midi pluvieux, la galerie était réservée aux deux filles et en plus de ça, elles avaient la possibilité d'utiliser le matériel. Autant dire qu'Adélaïde était ravie de cette surprise, elle se trouvait être en plein dans son élément. Abritée par la devanture de la galerie, elle attendait la jeune femme, de toute façon légèrement en avance. Cela n'empêchait pourtant pas Adélaïde de la voir arriver de loin. Cette chevelure flamboyante ne pouvait que se voir par un temps aussi maussade et gris. Égoïstement, l'Argentino-Américaine souhaitait que cette compagnie mettrait un peu de couleurs dans sa journée et c'est sans cacher son sourire qu'elle l'accueillait. « T'es prête à me supporter tout l'après-midi? » Sortant les clés de sa poche, elle ouvrait alors la porte et invitait la rousse a entrer d'un regard et d'un léger mouvement de tête, la suivant de près et refermant derrière. « Je te préviens tout de suite, je n'ai pas de réponse à la question "pourquoi". Je saurais pas expliquer, tu m'as tapé dans l’œil, je t'ai trouvé jolie alors... voilà. » Ouais, voilà, elle avait simplement claqué quasiment 100 000$ comme on claquerait deux euros dans une machine à la fête foraine pour attraper une peluche. Aussi simplement que ça... par pure et simple envie.

Faire la rencontre de la fameuse Lola. Fameuse parce qu'elle l'avait achetée mais surtout fameuse parce qu'elle avait fait l'objet, en partie, d'une conversation entre Andreas et Adélaïde. Évidemment, rien de bien méchant mais cela avait donné le ton de cette rencontre. Si de base, la jeune femme ne comptait pas effrayer la rousse, elle se devait visiblement d'être encore plus prudente qu'elle ne l'aurait pensé. Ce court échange qu'Andreas et Adélaïde avaient eu laissait croire que Lola était un être fragile, perturbable, friable. Autant dire que si Adélaïde se laissait aller, son caractère fort et exubérant allait écraser la pauvre Lola. Alors oui, forcément, elle allait être naturelle, spontanée comme à chaque fois, peut-être un peu provocatrice parce qu'elle était ainsi, mais elle allait sûrement tourner sa langue sept fois dans sa bouche avant de parler. C'est du moins la réflexion qu'elle s'était faite avant que la jeune femme n'arrive.

Une promesse intérieure qu'elle n'avait pas su tenir plus qu'une paire de minutes puisqu'à peine arrivée, elle mettait les points sur les i en expliquant sans réellement expliquer le pourquoi elle l'avait achetée. Peut-être aurait-elle du se taire. L'attitude de la jeune femme laissait croire que ce simple compliment, pourtant doux et relativement agréable l'avait mise mal à l'aise. Ça allait être compliqué. C'est ce que L'Argentino-américaine pensait en observant sa compagne du jour. Les jours rosées, ce sourire crispée. Mission n°1, tenter de la détendre et Adélaïde savait d'avance que cela ne serait certainement pas gagné.

Tout en la rejoignant face à cette œuvre qu'elle semblait observer avec attention, la blonde ne pu s'empêcher de la détailler davantage. Ses vêtements, sa coiffure, son visage. Tout était passer au peigne fin mais relativement discrètement tout de même, sachant parfaitement que ce n'était pas une chose polie et que cela pouvait être encore déstabilisant si on se sentait observée. Se postant à côté d'elle, son regard pivotait vers le tableau. « Oui, surtout que je le comprend pas. » C'était étrange, elle le savait mais c'était ainsi. Moins elle comprenait, plus elle adorait. Le mystère de la chose, probablement.

« Et toi? Je vois que tu aimes l'art des fringues déjà. Du Valentino pour faire de la peinture, c'est pas très recommandé pour sa survie tu sais. » Disait-elle concernant son chemisier, avec un sourire qui se voulait rassurant et amusé. Adélaïde aimait l'art dans le sens des peintures, des dessins, de la musique mais elle aimait aussi les vêtements, une forme d'art également et forcément, en tant que fille de riche fréquentant les plus grandes boutiques de luxe, elle avait reconnue sans difficulté le couturier de son chemisier.

Spoiler :

Regarder une peinture qu'elle ne comprenait pas forcément, l'aimer et surtout écouter Lola. C'est exactement ce qu'Adélaïde était en train de faire présentement. Elle ne disait rien, elle écoutait juste. Mais bon sang ce qu'elle avait envie de rire et ce n'était clairement pas facile de garder son sérieux. Le stress de la jeune femme l'avait transformée en véritable pipelette pour tout dire et ne rien dire à la fois. Elle en devenait drôle à son insu et si Adélaïde n'était pas curieuse de voir jusqu'où elle allait s'enfoncer d'elle-même sans qu'elle ne bouge le petit doigt ou ne pipe un seul mot, elle aurait sûrement explosé de rire depuis longtemps.

Cela dit, et en dehors du fait qu'elle trouvait cela très drôle, cela lui permettait plus ou moins de comprendre quelle image les personnes ordinaires peuvent avoir d'elle et des riches en général. A vrai dire, elle n'était pas plus étonnée que ça. Encore aujourd'hui l'image de la fille à papa capricieuse et fringuée chez les plus grands couturiers circulait sous toutes les chaumières. Ce n'était pas faux mais pas tout à fait exact non plus. Comme tout le monde, elle lui avait mis une étiquette, comme Adélaïde aurait pu le faire sur n'importe qui aussi, mais la jeune femme comptait bien l'arracher et lui montrer que tous les riches ne sont pas hautains.

« La seule chose que je te dirais, c'est que je suis pas fâchée, promis. » Disait-elle en suivant la jeune femme vers l'arrière de la Galerie et plus précisément à l'atelier, le sourire aux  lèvres.

Une immense pièce, un véritable hangar s'offrait à elles avec ici et là différents matériaux, des toiles de tailles différentes, des casiers entiers remplis de peinture, de crayons, de pinceaux, d'éponges et autres. Mettez y des enfants, pour sûr qu'ils s'éclateraient toute la journée là-dedans, aussi bien à faire des œuvres qu'à jouer à cache-cache.  « Et beh, ils ont confiance pour nous envoyer là-dedans sans avoir peur d'être volés. » Son regard se levait automatiquement au plafond. Des rails s'entremêlaient les unes aux autres et un bruit mécanique captait alors son attention. « Souriez, vous êtes filmées. » Un slogan qui signifiait la présence d'une caméra visiblement moderne puisqu'elle semblait être réglée pour suivre les rails dans un ordre bien précis et avoir vu sur tout l'atelier ou presque.

« Bon alors, t'as une idée de ce que tu veux faire? »

Elle a fait ça? Sérieusement? Elle a fait coucou à une caméra de surveillance probablement sans personne derrière pour surveiller? En tout cas la personne qui visionnera les images au besoin va probablement bien se marrer. Même Adélaïde avait cette envie de rire tellement elle trouvait ça totalement wtf mais sincèrement, elle n'avait pas envie de mettre Lola plus mal à l'aise qu'elle ne l'était déjà bien qu'elle semblait se détendre petit à petit. Il était vrai qu'Adélaïde ne faisait rien pour vraiment la perturber, au risque de se faire taper sur les doigts par Andreas sinon, mais elle ne faisait rien non plus pour l'aider à ne pas s'enfoncer et c'était drôle au possible. Jusqu'à ce que la jeune femme semble un peu ailleurs. Elle gardait son sourire, elle gardait ce visage qui était le même depuis le début mais clairement, son regard n'était plus là, probablement enfoncée dans ses souvenirs. Adélaïde ne lui en tiendrait pas rigueur.

La peinture et plus précisément le dessin lui rappelait aussi des souvenirs, des moments où elle a pu passer de longues heures à dessiner pour tenter d'extérioriser tout ce qui c'était accumulé en elle, de la noirceur, des moments peu enclin aux rires, voire pas du tout et ses envies de suicide parfois omniprésents. C'était une des phases de la bipolarité qui l'avait souvent atteinte et aujourd'hui, stabilisée, elle se rendait compte que le dessin l'avait beaucoup aidée, étrangement.

« Un peu tout à vrai dire. Je serais bien tenté de te dessiner, ironiquement ou non, je sais pas trop mais j'ai l'habitude du dessin et du coup ça me changerait peut-être un peu de faire autre chose. » Elle était plutôt indécise quant à ses désirs. C'était toujours comme cela avec elle, une vraie fille. Ca emmerdait parfois Andreas d'ailleurs. Un coup elle voulait une salade de riz et quelques minutes plus tard, elle revenait sur sa décision pour avoir une pizza. Pauvre de lui, condamné à la supporter à longueur de journée. « Je crois bien que je vais te dessiner en train de faire ton pot en terre glaise... si tu y arrives. » Un sourire malicieux sur les lèvres, elle sous-entendait ce que Lola avait clairement dit: elle n'était pas très douée. Mais au fond, cela faisait pas mal son charme, il fallait l'avouer.

Elle avait ce petit truc en plus, cette chose qu'on ne peut pas expliquer mais qui rend vite les gens attachants, attirants. Oui, Adélaïde avait envie de la dessiner, de la peintre et c'est bien ce qu'elle s’apprêtait à faire en s'emparant du matériel ici et là. « Si t'es pas d'accord pour que je le fasse, dis-le moi de suite avant que je commence. » Avant qu'elle tire ce premier coup de crayon qui lui servirait de base.

Elle savait d'avance que dessiner la détendrait au possible. Elle savait d'avance que cet après-midi lui plairait malgré les évasions pensives de Lola de temps en temps remarqué par Adélaïde. Elle ne lui en tiendrait pas rigueur, elle n'était peut-être pas d'humeur après tout et ce n'était pas si elles avaient eu le choix du jour de leur rencontre si l'une d'entre elles ne se sentait pas d'attaque. A vrai dire, le stress de Lola, bien que calmé à présent - elle en avait l'impression en tout cas - laissait savoir qu'elle n'aurait jamais été prête, ou presque, à la rencontrer s'il n'y avait pas eu ce jour défini mais ça, c'était une autre histoire composée de "si" tellement hypothétiques qu'elle en ignorait toutes les possibilités.

L'une allait peindre, l'autre allait modeler, qu'il en soit ainsi.

« J'ai hâte de voir comment tu vas t'y prendre. » Disait-elle tandis qu'elle installait un peu de matériel pour elle face à l'atelier improvisé de poterie. Une vision de garder un œil sur Lola et surtout d'être polie, quand même un peu. Parler à quelqu'un en ayant le dos tourné, ça n'avait d'agréable. « Je suis toujours prête moi, je n'attend plus que toi. » Et tandis que justement, elle attendait, elle en profitait pour observer sa partenaire d'art avec plus d'intérêt, plus de concentration. Elle imprimait ses traits dans son esprit, elle se voyait les dessiner, elle repérait ses meilleures qualités et pointant de l’œil ses charmants défauts.

Elle était fine, elle était belle, sans aucun doute possible.

« Si tu prenais le petit couteau pour la faire plus fine en épaisseur, ça serait plus simple à malaxer pour la rendre plus malléable tu sais. » De son côté, elle n'avait pas ce souci là. Pinceaux, aquarelles... elle s'autorisait juste quelques essais sur une feuille qui traînait par là. Elle était enfin prête.

Enfin ça, c'était sans compter sur son esprit, inventeur d'innombrables conneries. Trempant son pinceau dans la peinture, elle faisait alors un geste de la main sec et rapide pour que ce dernier éclabousse sur Lola et plus particulièrement son chemisier. « Je voulais être la première à le salir, ça me tenait vraiment à cœur. » Un sourire malicieux sur les lèvres, elle était prête à se cacher derrière sa toile en cas de représailles.

Observatrice. Voilà ce qu'elle était principale envers sa camarade. Compagne d'art qui semblait se battre avec son matériel plus qu'autre chose. Ça la rendait attrayante mais pas dans le sens sexuel, plus dans le sens mignonne, fragile. Une plaque de glaise réussissait tout de même à lui résister, de quoi faire sourire Adélaïde, amusée par cette situation. Elle oubliait presque que Lola était un prix de soirée passée, elle oubliait presque qu'elle devait la peindre. A contrario, ce qu'elle n'oubliait pas, c'était bien de salir ce chemisier que la rousse ne semblait pas aimer et pour ça, rien de mieux qu'une éclaboussure de peinture bien maîtrisée. Un sourire malicieux sur les lèvres, la jeune femme était loin de feinter l'innocence, se ventant même de sa bêtise. « Tu me fais pas peur, Sandstrom. » Utiliser son nom comme on utiliserait celui d'un ennemi juré.

Et l'attaque de l'ennemie en question fut immédiate. Sans attendre une seconde de plus, et ce malgré la tentative d'Adélaïde de la fuir, Lola barbouillait gentiment le visage de la blonde de terre glaise qu'elle avait sur les mains. Comme elle l'avait précédemment dit, la guerre était déclarée et c'est avec un air faussement choqué qu'elle répliquait. « Ah ouais, t'es comme ça toi? J'aurais du demander à Andreas ce que c'était tes faiblesses. » Disait-elle pour plaisanter tout en trempant directement ses mains dans un pot de peinture de rouge. « Si tu veux jouer, on va jouer! » Les mains pleine de peinture, elle se faisait deux traces de guerrier sur ses pommettes à l'aide de ses doigts avant de foncer littéralement sur Lola, prête à l'attaquer de toute part. Peinture contre terre glaise, autant dire que cela faisait un duo détonnant, coloré et salissant surtout.

Tellement salissant d'ailleurs qu'une belle tâche de peinture dégoulinante sur le sol faisait glisser Sullivan qui, par instinct de survie même si elle ne tombait que de sa propre hauteur, s'accrochait à Lola, l'emportant dans sa chute. Fort heureusement, il y eut plus de peur que de mal, et c'est dans un éclat de rire, toute peinturlurée et glaisée, qu'elle disait. « Tu crois qu'on va nous faire nettoyer? » Se retournant sur le dos, elle regardait le plafond et soupirait un instant d'aise. « Après ça, on ira te chercher un chemisier qui te plait, c'est promis. » Oh que oui, elle comptait bien l'embarquer avec elle pour faire quelques magasins, comme une sorte de merci pour la supporter pendant cette journée.

Amusée, elle riait de bon coeur sur le sol, pleine de terre et de peinture sans savoir si elle avait plus de l'un ou de l'autre sur elle. Pour sûr qu'une bonne douche serait de mise en rentrant mais pour le moment peu importe, c'est la bonne humeur qui primait, assez pour qu'elle puisse encore rire de la réflexion de la rousse. Elles étaient en train de faire de l'art... « Je suis pas sûre que ça passe comme excuse, tu sais. Au pire on sera déjà parties comme des voleuses avant qu'ils s'aperçoivent des dégâts. » Même s'il s'agissait d'une blague, elle n'avait pas tout à fait tort, elles étaient même en train d'inventer un nouveau concept, qui sait? Peut-être qu'un jour associer deux matières différentes et faire la guerre dedans donnerait de magnifiques œuvres d'art mais on en était pas encore là. « Te plains pas, c'est peut-être la nourriture du futur, je t'habitue à la chose, c'est tout. » Pour l'instant, tout ce qu'Adélaïde savait, c'est qu'elle se fichait bien d'avoir détruit ses fringues et qu'elle rigolait bien de leurs âneries.

Du moins jusqu'à ce qu'elle ait visiblement le malheur d'évoquer un possible achat de fringue pour Lola venant de sa part. Une promesse simple, sans fioriture, sans même de désir de montrer quoi que ce soit, sans supériorité, simplement comme ça. Pourtant, elle sentait bien que la rousse le prenait plutôt mal, comme une démonstration de force ou de richesse, allez savoir. Adélaïde s'en mordait stupidement les doigts. Elle allait devoir tourner sa langue dans sa bouche sept fois avant de parler dorénavant. « Bien, tu n'auras qu'un portrait alors si c'est ce que tu veux. » Après tout, elle pouvait pas la forcer à accepter un cadeau. Se redressant, elle se remettait debout, prenant soin de se stabiliser sur ses jambes pour ne pas glisser de nouveau sur la peinture. Un sourire aux lèvres, elle pointait Lola du doigt. « Il a intérêt d'être magnifique ce pot en terre. » Fausse menace évidemment, dite sur un ton plaisantin tandis qu'elle retournait à son tableau, enfin prête et ce pour de bon à coucher le portrait de Lola sur cette toile tendue toujours vierge.