Parce que le protagoniste n'est pas toujours facile à identifier.
Parce que l'antagoniste peut parfois adopter un visage agréable dans l'espoir fourbe et vil de manipuler.
Parce que chaque force réclame une force de magnitude identique dans la direction opposée.
Parce que la princesse ne fera pas toujours ce qui est attendu d'elle, mais parfois, ce que son coeur lui dictera comme étant bon et vrai.
Parce que l'on ne peut jamais deviner la fin de l'histoire sans en connaître les éléments clés.
Parce que parfois, certaines variables changent le jeu en plein milieu de la partie.
Parce que le monde n'était pas fait pour avoir de gagnants ou de perdants.
Parce qu'ils n'ont qu'une vie. Parce qu'il ne faut pas qu'ils la gaspillent.
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La pluie martelait les vitres de la voiture. La journée venait à peine de commencer que déjà, l'intégralité de son ton était annoncé d'emblée. Elle serait sombre. Lassante. Inquiétante. Comme cette pluie, qui ne semblait pas vouloir s'arrêter. S'éternisant, comme une malédiction, au dessus du ciel, habituellement si ensoleillé de Los Angeles. Non pas que cela le dérangeait. Hormis la légère contrariété de se dire que ces changements météorologiques pourraient causer des embouteillages sur son chemin (un risque facilement contré par la promesse de son chauffeur de le déposer devant sa destination à l'heure prévue, "coûte que coûte"), ce climat sombre et démoralisateur ne l'affectait pas plus que cela. Au contraire, le dirigeant se retrouvait davantage apaisé par le clapotis rythmique et répétitif des gouttelettes d'eau sur le capot du véhicule qu'alarmé par leur tombée drue et prolongée. Le vrombissement des essuie-glace rajoutait également une certaine douceur tendre au martèlement agressif de l'eau sur le toit de la voiture. Cela serait presque suffisant pour lui permettre de se perdre dans ses pensées et de rattraper sur les innombrables heures de sommeil qu'il lui manquait, indéniablement, soit par manque de temps, soit par insomnie, soit par crise de panique, tout simplement.
Cela dit, l'homme d'affaires ne pouvait se le permettre. À sa droite, noyée sous une véritable cascade de boucles dorées, se trouvait la nouvelle stagiaire qu'il avait employée. Celle-ci, c'était Charlotte, qu'elle s'appelait. Charlotte Henry. Et contrairement aux autres stagiaires que Kingsley avait décidé de prendre "sous son aile", celle-ci était la seule à réellement avoir le privilège de pouvoir l'accompagner partout où il allait et pour chacune de ses tâches journalières. Le plan avait toujours été qu'il n'aurait qu'une personne sous sa supervision, après tout. Le fait que son choix se soit porté sur elle avait été un fruit du hasard, cela dit. Il y avait eu quelque chose ... Quelque chose dans sa façon de parler ou dans son regard. Comme une braise qui ne voulait pas s'enflammer. Une étincelle qui ne demandait qu'à avoir l'opportunité de brûler. Il avait vu en elle ce potentiel, caché, dont elle-même n'était probablement pas consciente ... Et il avait eu envie de l'éveiller, coûte que coûte. Le potentiel de quoi ? Lui-même n'en était pas complètement sûr. Tout ce qu'il savait, c'était qu'il était bien là et présent ... Et cela lui avait suffi pour qu'il se mette à l'évidence : elle ne pourrait jamais le décevoir. Il en était persuadé, jusqu'au fond de son âme.
Ce matin, ils discutaient. Comme à l'accoutumée, elle lui retraçait son emploi du temps quotidien avant de lui demander de plus amples précisions sur les détails sur lesquels elle restait incertaine. Il l'écoutait, de son côté, avec attention et calme ... Puis, répondait aux interrogations qu'elle pouvait bien avoir à lui poser avec stoïcisme, nonchalance et peut être, même, un peu d'ennui. Cette routine, cela faisait des années qu'il avait eu le temps de s'y habituer. Sa secrétaire était celle qui le suivait partout où il allait, habituellement. Maintenant qu'il avait cette stagiaire pour l'assister, cependant, Jane ne lui était plus indispensable. Elle pouvait rester au bureau lorsque lui devait partir. Cela lui donnerait davantage de temps pour organiser le fil de sa vie, et grand bien lui fasse : la vie de Croesus était tellement chargée – de rendez-vous, d'appels, de tâches à effectuer et de propriétés à acquérir – que l'organisation nécessitée autour de celle-ci était un véritable cauchemar pour celui ou celle chargé(e) de lui en faire garder le fil.
Le magnat s'apprêtait à demander à son interlocutrice de répéter l'heure de son dernier rendez-vous de la journée lorsque soudainement, un bruit sourd le propulsa hors de ses pensées.
– James, c'est quoi ce bordel ? demanda-t-il avec irritation à son chauffeur privé. Cela faisait plusieurs années que James avait été le conducteur attitré de Croesus, années durant lesquelles il avait probablement brûlé davantage de feux rouges et enfreint le code de la route plus de fois que tous les véhicules prioritaires de Los Angeles réunis. Tout cela dans le but de satisfaire son patron, évidemment. Sans jamais se faire interpeller par un véhicule de police. Conducteur hors pair, James avait été choisi dès le départ grâce à son talent – parce que lorsque l'on parlait de James, l'on ne pouvait pas parler d'autre chose que de talent – incroyable pour la conduite. Malgré toutes les effractions commises pendant le service, il n'avait entaché son permis une seule fois – et n'avait jamais, Ô grand jamais eu l'audace d'imposer un accident au grand, au magnanime, à l'unique Croesus Oliver Kingsley.
Ou tout du moins, jusqu'à ce jour fatidique. L'américain, complètement surpris par ce retournement de situation inattendu, espérait bien des explications de la part de son chauffeur. Comment aurait-il pu être aussi irresponsable et négligeant ? Croesus n'en revenait pas. Le pauvre James ne semblait pas en revenir non plus, d'ailleurs, à en juger par ses paroles.
– Monsieur Kingsley, je vous jure que ... Je ne sais pas ... Je n'ai pas eu le temps ... Je ... C'est la voiture devant elle ... Elle s'est arrêtée, juste comme ça ... Je crois que c'était fait exprès ... Je ... Je suis tellement confus ...
Le pauvre homme n'eut malheureusement pas davantage de temps pour se remettre de ses émotions. En effet, un claquement extérieur leur indiquant que le conducteur du véhicule les précédant s'était décidé à braver les pleurs des cieux afin de les confronter, Croesus soupira bruyamment avant de déclarer, avec sérieux.
– Tout ceci est fort contrariant ... Je te laisse voir ce qu'il veut. Nous en reparlerons plus tard.
Ça, c'était sa façon à lui de donner un ordre. Parce que Croesus, il n'avait plus besoin de demander, au stade où il en était. Une simple suggestion suffisait amplement. Ses employés le connaissaient suffisamment bien pour comprendre chacune des subtilités de ses paroles et tous les innuendos dissimulés dans ses propos. Il lui suffisait de suggérer quelque chose pour que ses salariés y lisent un ordre à ne pas ignorer ... Et c'était comme cela qu'il aimait vivre. Tout en finesse. Sans prises de têtes, sans confrontation. Le monde à ses pieds. Oui, c'était vraiment quelque chose que le riche multimilliardaire aimait. Alors qu'un chauffeur hésitant se faufila hors de la voiture, armé de son gigantesque parapluie noir, afin d'entamer les protocoles convenus avec son patron "en cas de situation similaire" (bien qu'une telle situation n'aurait, d'après Croesus, jamais dû arriver, il lui aurait semblé absurde de ne pas se préparer à l'éventualité qu'elle puisse un jour arriver). Lorsque la porte se referma derrière lui, l'homme d'affaires se retourna vers Henry avec tellement de détachement qu'on aurait facilement pu omettre que sa voiture de collection ridiculement coûteuse venait de se faire emboutir par un véritable chauffard. Aussi professionnel que d'habitude, il ne perdit pas son temps avec des platitudes telles que "tu vas bien, rien de cassé ?" et se permit directement de rentrer dans le vif du sujet.
– Bon. Où en étions-nous donc, avant toutes ces histoires ?
Indéniablement, il aurait du retard dans sa journée. Autant prendre autant d'avance qu'il le pouvait, confiné dans cette voiture emboutie comme il l'était.
extensionauto_awesomeac_unitvolunteer_activismCharlotte.
Je suis ton père.