This is the end baby

Un rendez-vous, encore. Je soupire. L'envie de m'y rendre n'est pas au rendez-vous, aujourd'hui. L'envie de la voir n'est plus au rendez-vous depuis plusieurs jours, déjà. Je suis en avance. J'étais dans le coin, de toutes façons. J'étais parti au parc avec Reyne, le matin. Reyne... Et un océan de couleurs. Reyne et sa vague de chaleur. Autant dire que nos vêtements ne nous ont pas encombrés trop longtemps, dans ce parc. Autant dire que la matinée a été sportive, mouvementée.

Maintenant, je suis là. J'ai profité de mon avance pour me recoiffer dans le miroir des toilettes, parce que c'est Brynn, et qu'avec elle, les apparences ne font pas tout: elles sont tout. Je reboutonne correctement ma chemise remise avec hâte, avant de me raviser et de défaire les deux premiers boutons, pour me donner une allure jeune et téméraire. Je ressors alors des toilettes avant de reprendre ma place, silencieux, sur l'un des tabourets devant l'espèce de table longue qui ressemble à un bar. Je ne me suis pas mis sur un des fauteuils car je ne veux pas rester ici trop longtemps. Je sais que cela ne durera pas trop longtemps, de toutes manières. Je me refuse d'accorder trop de temps avec une femme qui m'insupporte.

Elle arrive alors, mon sourire devance mes mots.

– Pile à l'heure. Quelle surprise.

Elle me dit de ne pas commencer et j'ai envie de lui rire au nez. Ne pas commencer, ne pas commencer... Si
ça ne concernait que moi, cette discussion serait déjà terminée, et ce, avant même qu'elle n'ait eu le temps de débuter! Mais non. Il avait fallu qu'elle insiste, il avait fallu qu'elle la réclame, cette rencontre. À présent, nous y voilà. Elle et moi, exactement comme avant... Mais... Pas vraiment. Pas du tout comme avant. Lorsqu'elle me parle de Reyne, mes sourcils se haussent immédiatement d'étonnement, par curiosité. Reyne... Mais qu'est-ce qu'elle vient faire au milieu de tout ça, Reyne, exactement...? Haussant des épaules, désinvolte, je lui réponds d'un ton froid, sec, glacial.

– Je suppose que Kenny ou je ne sais plus qui a fini par te lasser? C'est la première fois que je te vois sans un imbécile heureux aux basques. En réalité, je ne sais même plus si le dernier avec lequel elle avait été vue s'appelait Kenny, j'ai un peu sorti ce nom au pif, un nom merdique pour un type merdique. En tous les cas, ce n'est jamais très important, avec elle. Elle les use comme des kleenex avant de les jeter à la poubelle. Tous. Lorsque je m'aperçois qu'elle est en train de commander un café à la serveuse, ça me met hors de moi.

– Finalement, on a pas encore choisi, tu peux nous laisser quelques minutes de plus? Merci. Je demande, agacé. Gênée, la jeune femme bredouille une sorte de "oui" avant de déguerpir, vite fait bien fait. Je n'ai pas toute la vie devant moi, Brynn. Qu'est-ce que tu veux, cette fois-ci? Je lui demande, le regard tendu. J'aurais pu l'appeler Gabrielle, mais je me suis dit que ce ne serait peut être pas la meilleure des idées. Rares sont ceux qui lui avaient fait un tel affront et qui avaient survécu pour le raconter.

Ses accusations ne m'affectent pas, au contraire. D'après elle, si j'aurais été attentif, j'aurais su que mon rival principal se prénommait Samy, et non Kenny. Euh... Okay, super, mais comment lui dire que je m'en bats–les–steaks? Visiblement, pas comme ça. Mais passons, parce que vraiment, moi, je m'en fous et ça ne sert à rien de s'éterniser là dessus, je ne suis pas ici pour faire l'inventaire de tous ses plans culs, non plus, hein. Lorsqu'elle me demande si c'est contre la serveur que je défoule ma colère, je serre des crocs malgré l'envie de lui vociférer ses quatre vérités au visage. Elle n'attend que ça, que je m'énerve contre elle. Ca se voit, dans ses regards. Ça se sent, dans l'atmosphère et le piment de son parfum. Ça s'entend, dans les notes cristallines et tranchantes de sa voix. Lorsqu'elle me déclare que c'est fini, c'est d'abord abasourdi que je cligne des yeux. Lorsque je me reprends enfin, cela dit, je ne peux pas m'arrêter d'exploser de rire. Parce que vraiment, elle était bien drôle, la mignonnette.

– Je suis on ne peut plus d'accord. Me concernant, ça fait un bon moment que c'est fini, d'ailleurs. Mais ça, tu le savais déjà, je pense. J'aurais du mal à croire qu'elle n'a pas compris que ce silence radio et toutes les fois où je m'inventais une excuse pour ne pas la voir signifiaient que je ne voulais plus rien avoir à faire avec elle. Je suis passé à autre chose, maintenant. Mais ça aussi, elle le sait. Sur la table, mon téléphone se met alors à vibrer. Un nom, une image, s'affichent sur l'écran. C'est elle. C'est Reyne. Je n'ai qu'un désir, celui de lui répondre, mais quelque chose me dit que ce n'est pas le bon moment, maintenant.

À l'entendre, on dirait qu'elle se prend pour... Je ne sais pas trop. Plus que ce qu'elle ne l'est, en tous les cas. À parler de choses "officielles", on dirait qu'elle se prend pour un ministre. Moi, à défaut de m'éclater, ça me rappelle surtout pourquoi entre elle et moi, c'est fini. J'aime les filles simples, moi, un peu bonnes, un peu cochonnes, assez marrantes aussi, pas trop chiantes... Et clairement, simple, c'est un mot qu'elle ne connaît pas.

– Fais ce qui te chante, ma belle, ce n'est pas comme si ça te changeait de tes habitudes. Je lui réponds. J'ai envie de rire mais je me retiens, parce qu'elle va finir par en avoir ras le bol. Mais moi ça m'amuse, c'est comme un jeu, après tout. Tout est comme un jeu. La vie... Les amours... Les relations... Tout se joue, se gagne, se perd. C'est comme ça, et moi, je m'en fous. Elle croit que si je ne lui ai rien dit, c'est parce que je suis un lâche. Malhonnête. Hypocrite. Je souris. Elle n'a vraiment rien compris, c'est hallucinant.

– Pour une étudiante en psycho, ton analyse me semble bien limitée. Comme ta vision du monde en fait. Je pose un bras sur la table, puis l'autre, les croisant avec un air défiant dans les yeux. Si je n'en ai pas pris la peine, ma douce, ma chère, ma tendre Brynn... C'est parce que j'avais mieux à faire et que je n'en voyais pas l'intérêt. Elle voulait de l'honnêteté? Elle en aurait, de l'honnêteté, et pas qu'un peu. Je n'avais pas que ça à faire que de supporter les crises névrosées d'une blonde caractérielle. Si je voulais me barrer, je me barrais, point, à la ligne. Mais visiblement, ça ne lui suffisait pas. J'aurais dû m'en douter.

Je grogne un peu face à sa remarque. "C'est exactement ça." Et sa connerie aussi, c'est exactement ça, ou c'est autre chose encore...? Je ne sais pas trop. Elle m'insupporte, cette nana. Ce serait cool qu'elle se tire, bientôt, d'ailleurs, parce que la minette qui vient d'entrer par la porte du fond est pas trop trop mal, d'ailleurs. Mais non. La nana du fond, ce sera plus tard. Là, je dois me concentrer sur Blondie. Douloureux, violent, déplorable rappel à la réalité. Elle me déclare que j'étais probablement trop occupé autrement. Sourire coquin, air séducteur. Je ne suis pas vexé par sa remarque, au contraire.

– Que puis-je dire pour me défendre? Elle le mérite bien, elle est généreuse quand elle veut, elle. Bon, d'accord: critiquer les compétences sexuelles de Blondie, c'était pas forcément la meilleure des idées... Surtout qu'elle était pas si mauvaise que ça, quand même, enfin, quand on s'amusait réellement ensemble... Mais... Mais quoi? Ce n'est pas comme si elle allait m'assassiner pour m'être foutu de sa gueule, quand même, si...? Ou alors elle est folle à lier, encore plus que je ne le pensais, et il m'a fallu tout ce temps pour m'en rendre compte? Hm. Intéressant. Je crois qu'il faudrait une vie d'études en psychologie pour la comprendre, elle. Enfin, comprendre pourquoi elle est comment elle est. Comprendre ce qu'elle est, ça, ça ne prend pas plus de cinq secondes. Elle est comme moi. Exactement comme moi. Mais sans toutes les qualités, évidemment. Sinon, ce serait trop beau pour être vrai.

Elle me déclare alors que sa vision du monde ne se limitait pas qu'à moi. Je ricane, sarcastiquement. Tu risques d'avoir du mal à voir grand chose si de base, tu es incapable de voir plus loin que le bout de ton nez. Malgré tout, on est quand même d'accord sur une chose: cette conversation ne sert vraiment à rien. Et puis, ce n'est pas tout, je dois aller demander un numéro de téléphone. Allez, 'tchuss, Fräulein. Je ne parle pas souvent allemand, mais la situation me semblait adaptée, cette fois-ci. Je me lève alors, sans me soucier de Brynn et de son visage probablement rendu pourpre par la rage et la fureur. Moi, tout ce qui m'importe, c'est la belle paire de seins qui s'agite près du bar. Je me demande combien de temps il me faudra avant qu'elle ne me cède son numéro: une minute ou deux? Je suppose que le temps me le dira.