BIBBO & CASSIE ✰ Je n'espérais rien de cette journée.. Et pourtant.

- Je sais même pas ce que je fous encore là avec toi Yannick, sérieusement, t'es qu'un pauvre con !

Il fallait vraiment que l'on me rappelle pourquoi j'avais cru que Héloïse était un bon parti. Elle était belle, certes, attirante à souhait ... Mais son caractère de cochon laissait tellement à désirer que tous les Delta Thêta sans exceptions se refuseraient de la fourrer, même si elle les suppliait. Et pourtant, je devais avoir été mal informé étant donné que je me retrouvais, à présent, en sa "charmante" compagnie. J'avais voulu être son prince printanier, celui qui déferait les fils de sa ceinture de chasteté (pas si chaste que cela, mais passons). Son Roméo Suisse, son Tristan étranger ... Une soirée romantique au profit de mon temps et de mon argent ... Du moins, c'était l'effet recherché. Et puis, comme de par hasard, elle ne tint même pas l'étape de l'entrée avant de se mettre à exploser de fureur et à m'incendier de tous les noms. Surpris au départ, je sursautai : cela m'arrivait si peu souvent que j'avais perdu l'habitude de ce genre de situations. Et puis, mon calme revint ... Et je la fixai, curieusement. Je me demandais combien de temps il fallait attendre pour que les veines de son cou se mettent à ... Ah. Ça y est. Elles sont sorties, ses veines. Bordel. Qu'elle était laide quand elle était en colère. Une véritable harpie. Même ses seins perdaient tout leur charme.

Je fis semblant de ne pas écouter ses paroles. En réalité, je n'entendais que ça. Et évidemment, ça l'énervait davantage. Mais soit. Elle l'avait cherché. Éventuellement, elle tourna les talons, et levant les yeux au plafond, je pensais intérieurement "Enfin". Tous les clients du restaurant me regardaient, ce soir. Je voulais bien être une vedette, mais ... Pas comme ça. Et c'est alors que je la vis. Elle. Une blonde ... Je l'avais croisée, au Heavy Metal Lover, il me semble ... Ou alors ce n'était pas elle ... Si, si, la petite blondinette toute mignonne à qui j'avais fait une révérence au moment de me casser pour rejoindre ma bande de démons ... Elle était vraiment mignonne, en fait. La fixant de mes yeux inexpressifs, j'avais oublié que les gens prenaient facilement peur de mon regard ...

- Enculé ! elle claqua fermement son poignet contre la table, menaçant de faire tomber, dans l'impact, le verre de vin posé au bord du meuble. Je ne disais rien, impatient qu'elle s'en aille. Histoire que je puisse terminer mon dîner en paix ... Et tout ça, avant que ça ne se refroidisse. En effet, un serveur, ayant observé la scène avec une attention minutieuse, avait choisi le moment du départ d'Héloïse afin de déposer nos deux plats principaux sur la table. Je le fusillai du regard : croyait-il réellement qu'elle allait revenir, ou cherchait-il simplement à me faire payer pour un plat qui n'était plus d'actualité ? Il repartit immédiatement, la peur dictant ses moindres gestes et actions ... La peur de mon regard. Piquant une bouchée de spaghettis bolognaise, je levai nonchalamment l'objet de métal vers mes lèvres, m'arrêtant un instant pour dévisager la petite blonde qui ne m'avait pas encore quitté du regard ...

Elle me surprenait : elle était capable de me regarder droit dans les yeux sans détourner du regard. Elle, elle avait du cran. Elle s'avança, légèrement ... Et je lui souris, mystérieusement. Elle avait une bonne tête ... Elle ne semblait pas être le même genre de fille que Héloïse. Physiquement, elles étaient, d'ailleurs, à deux pôles opposés : l'une baignant dans une beauté de promiscuité, l'autre, dans un charme d'innocence. Je ris légèrement à sa phrase. Souriant, je lui répondis :

- Par tous les moyens, si vous pensez que vous survivrez trois minutes à sa place ... Asseyez-vous, je vous en prie. Ce plat de tagliatelles ne va pas se manger tout seul.

Je la connaissais à peine, mais sa compagnie ne pouvait pas être pire que celle d'Héloïse ... Si ?

Elle arqua le sourcil, signe d'incompréhension. Je ris à nouveau.

- N'ayez crainte : ce n'est pas comme si j'allais vous manger.

Mais j'étais hypocrite : je me plaisais à savoir qu'elle avait du mal à lire mes pensées et émotions. Certains étaient très doués pour ça ... Et avec eux, je m'efforçais d'ailleurs à être davantage énigmatique et mystérieux. Là, c'était être à mon naturel ... C'était facile. Cassandra pouvait prendre ma phrase comme une invitation - c'en était une. Mais j'avais masqué mes propos en les teintant d'un air de défi, et ainsi, je souhaitais faire appel à son sens de l'aventure et surtout, à sa fierté. Un instant, ses craintes transparurent au travers du fait qu'elle se mordait la lèvre inférieure. Un autre instant, sa confiance sembla être de retour tandis qu'elle s'installa face a moi, le sourire aux lèvres ... Elle était enthousiaste, et j'aimais ça chez les gens. Oui, elle avait l'air fort sympathique, Cassandra ... Bien plus sympathique qu'Héloïse, en tous les cas.

- Sage décision. lui dis-je en souriant. Pour tout t'avouer, je n'avais pas envie de manger seul.

M'approchant d'elle afin de lui faire croire que j'allais lui faire une confidence de la plus haute importance, je chuchotai alors dans son oreille :

- J'aurais peur qu'elle ne revienne prendre sa place dans le but de gâcher ma soirée.

C'était faux, évidemment : je savais plus que pertinemment qu'elle ne reviendrait pas. Je lui souris, à nouveau, avant de lui répondre :

- Yannick. Enchanté. Et bien vu ; tu es perspicace.

Faisant durer le suspense, je mis ma fourchette dans ma bouche, prenant ainsi une bouchée de mon mets. Je mâchai lentement avant d'avaler, éventuellement. Une fois que j'avais à nouveau la bouche vide, je bus une gorgée d'eau. Tout ceci se fit dans un silence des plus opprimants. Éventuellement, je lui demanda :

- Et toi ? C'est quoi ton p'tit nom ?

Elle souriait. C'était déjà ça. Son visage trahissait une pointe de curiosité de par son regard. Et bon dieu, que j'aimais ça. Elle s'est assise en face de moi. Bingo. C'était dans la poche. Je me dis, lorsqu'elle recula après que je lui aies fait mes "aveux", que j'avais peut être brûlé beaucoup trop d'étapes beaucoup trop rapidement. Je n'en demeurais pas moins, à ses yeux, un inconnu. Et toute petite fille qui se respecte après de sa mère qu'il ne faut jamais s'asseoir à la table de, parler avec ou suivre les hommes louches plus âgés qu'elles. Je dois avouer que la différence d'âge pouvait, à ce stade, sembler ridicule, étant donné qu'elle devait, à tout casser, avoir quatre années de moins que moi ... Grand maximum. Et pourtant, son visage angélique laissait planer le doute dans mes pensées.

- Tu crois que ça l'arrêterait ? Tu crois qu'elle peut se donner davantage en spectacle qu'elle ne vient de le faire ? Non parce que si tu y tiens, je peux la rappeler, voir ce qu'elle me dirait si elle me revoyait ... Ici ... En la compagnie d'une autre jeune femme.

Elle me dit alors son nom à elle, et j'espérais au plus profond de moi même qu'elle ne se sentait pas mal à l'aise vis à vis de ma manière peu conventionnelle et plutôt neutre ; impersonnelle de communiquer avec les gens. Si mon regard laissait transparaître un flot d'émotions tellement diverses et variées que le résultat qui en découlait ne pouvait être qu'ambigu, mes paroles étaient souvent aussi transparentes que simple, et difficile à lier à un véritable sens émotionnel. Ou un parfait d'exemple du proverbe "la nature donne d'une main ce qu'elle enlève de l'autre" (ou une autre connerie de ce genre). Elle me demanda alors ce que je faisais dans la vie, plus ou moins. Riant face à sa remarque finale, je lui répondis alors, calmement :

- Oui ; je suis étudiant en journalisme. Et toi ? Je m'étais décidé de m'en arrêter là pour le moment. Mais l'envie de réagir face à sa réflexion au sujet de mon "activité à plein temps" se fit si forte que je me trouvai alors contraint de lui répondre tout de même :

- Pour tout t'avouer, j'envisageais en faire une carrière professionnelle, un jour.

Ne disait-on pas que c'était toujours bien, de rêver ?

- Et toi ... Cassie ? Ma voix s'éleva lentement sur la fin, indiquant que je n'étais pas sûr de dire le prénom que j'étais censé dire, et si je le prononçais également de la manière adéquate. J'étais sûr de moi pour les choses les plus intrépides. Par contre, lorsqu'il en venait aux banalités de la vie, je me trouvais, bien trop souvent, pris au dépourvu ; bredouille, même.

Elle rit. Je souris. Simple équation, n'est-ce pas ?

- Sage décision en effet. lui dis-je, amusé. Elle semblait bien moins prise de tête que sa prédécesseur, ce qui était, pour elle, un excellent point. Si connard professionnel me tentait bien, quelque part, je me disais que la seule chose qu'il me manquait, réellement ... Ou plutôt, que j'avais de trop, en l'occurrence, c'était le fait d'avoir un coeur. Bien difficile à comprendre, mais tout de même existant. Un réel obstacle à tous les actes salauds qui semblent intéressants à tester. "Au nom de la science". Et de la volupté, évidemment. Pour rester dans mon parcours de finesse habituel.

Son acquiescement de tête me fit comprendre que j'avais eu la chance de ne pas me méprendre dans mes propos, et de ne pas avoir commis une erreur en me donnant la liberté de lui attribuer un surnom (que nombreux autres avaient sans nul doute du lui accorder par le passé, bien entendu). La regardant avec une curiosité apparente, je lui demandai alors :

- Ah oui ? Et tu fais quoi ? Les vocaux, la musique instrumentale, les rythmes, mélodies, les paroles ? Dis moi tout. j'attendis patiemment sa réponse, mangeant à nouveau une bouchée de mon mets. Une question une bouchée ? Ça aurait pu être un jeu amusant. Un autre jour, peut être. Si jamais l'opportunité se représente à moi. Oh, et puis ... Ce ne seraient pas les partenaires qui manqueraient à l'appel, de toutes manières. Je devrais tâcher de me souvenir de ces règles fort intéressantes. Elle se permit alors de me faire son amusante blague vis à vis du journalisme. Riant légèrement, je me permis de lui répondre par :

- Que veux-tu que je te dises ? Je suis un véritable preneur de risques.

Je me remis à consommer une bouchée de pâtes, ne la quittant pas des yeux, cependant, cette fois-ci. Son regard était pour moi enivreur ... Ensorcelant, même. Cette Cassie avait un charme fou, ça, c'était indéniable.

Visiblement, elle semblait assez polyvalente, la Cassie ! Dire que je ne savais rien faire dans le domaine musical ... Et que mes talents vocaux étaient si 'phénoménaux' que je m'abstenais en permanence d'ouvrir ma bouche pour faire autre chose que de parler, et de manger. Quelque chose dans l'attitude de Cassie la rendait, à mes yeux, terriblement attirante. Ce n'était pas le genre de filles que j'avais l'habitude de croiser, ça, c'était un donné. Et si elle semblait ne pas être du genre à être prise de tête, elle dégageait une aura de défi que je me devais de relever, de par ses remarques et ses commentaires.

- C'est fort intéressant. J'aimerais bien entendre ça, un jour ... lui dis-je alors, plantant à nouveau ma fourchette dans mon assiette. Je me contentai alors d'hausser d'un sourcil lorsqu'elle me révéla avoir constaté que j'aimais prendre des risques : qui n'aimait pas cela, après tout ?

Une heure passa, une heure dépensée sur une dégustation mêlée à une conversation engagée et à des échos de rires dialoguant par intermittences. La soirée venait malheureusement à sa fin, et malgré ma réticence à quitter cette belle blonde, je ne pouvais réellement concevoir une manière attrayante de l'inviter à rester en ma compagnie pendant encore quelques instants. La voilà qui essayait déjà de prendre congés de moi, qui plus est ! Lui répondant alors délicatement, je dis :

- Tout le plaisir était le mien. Ce qui était véridique. Puis, face à sa question, j'ajoutai : Je ne sais pas encore ... Peut être. Mais avant ça, j'ai envie de me promener un peu. Histoire de respirer l'air frais. Ramassant mon porte-feuilles sur la table et le déposant lentement dans ma poche gauche, je tempérai mon geste de la question suivante. Prononçant ces mots à un ton presque silencieux ; inaudible, me voilà qui lui demandait :

- Peut être que tu aimerais venir avec moi ? espérant avec ferveur qu'elle me réponde par une affirmation plutôt qu'une négation.

Elle pivota sur place, geste qui me coûta un léger sourire chaleureux. Elle était baignée d'une innocence élégante qui la mettait hors de la catégorie des filles que je fréquentais d'habitude ; et autant un homme timide et naïf avait de quoi m'agacer au plus haut point, autant la jovialité et la jeunesse de Cassandra semblaient m'attirer comme un aimant. Notez, à ce stade, que le mot innocence n'est pas à prendre à son sens péjoratif. Je ne dis pas qu'elle manque de capacités cognitives, absolument pas. Je souligne simplement le fait que d'apparence et par le parler, elle semble sage ... Docile. Clémente. De quoi combler n'importe quel homme, en sorte. Un instant, j'eus une légère arrière pensée face à l'idée de la fréquenter. Loin de là l'envie de la pervertir en l'invitant dans mon monde complexe et frigide, je devais rapidement mesurer le pour et le contre d'une certaine proximité avec elle ... Et si elle me semblait plus fragile qu'Héloïse, je me disais qu'elle survivrait à ma mauvaise influence. Avec un peu de chance.

- Parfait. m'avançant lentement, je me retournais, toutefois, afin de vérifier qu'elle était bien sur ma trace. Peut être aurais-je dû me calquer sur l'exemple d'Orphée et ne pas me retourner jusqu'à être sorti du chemin que j’empruntais ... Peut être que les choses se seraient déroulées autrement. Après tout, ne lui avait on pas promis Eurydice sur un plateau d'argent s'il ressortait des enfers en ayant gardé les yeux rivés sur son chemin ... Un regard porté sur l'avenir ?

Nous quittâmes alors le restaurant ; j'avais un sourire aux lèvres là où elle portait une question. Où aller ? Excellente question ; question qui ne méritait nulle autre chose qu'une excellente réponse. Naturellement.

- Il y a un splendide parc non loin de là, et à cette heure-ci, il y a guère grand monde ... Ça te branche ? lui demandais-je alors, ne cessant, cependant, pas de marcher en direction du-dit lieu.