Sans doute qu'il en faisait trop, mais c'était comme ça.
Depuis des années, Ode n'avait jamais plus pris le temps de se
livrer à quelqu'un, d'offrir al possibilité à qui que ce soit de l'approcher suffisamment pour oser prétendre
le connaître a minima. Abel était le premier homme dont il se sentait proche et c'était sans doute pour cette raison qu'au fin fond de cette forêt, perdu entre un point
a et un point
b, il s'arrêtait net et jouer les mecs courroucés. Possessif, aussi, parce qu'il fallait bien admettre qu'Abel contribuait beaucoup à son bonheur en ce moment et que savoir qu'il s'en allait ne pouvait pas vraiment réjouir le courtier.
Tu plaisantes j'espère ? Je suis un peu plus franc que ça, pas besoin de t'amener en forêt. Je te dis juste que j'ai une conf. Je peux pas la rater. T'es vraiment pénible quand tu fais ça Ode ! la patience a des limites, même pour Abel. Ode le poussait à bout, régulièrement. Difficile
d'aimer quand on a passé près de dix ans à essayer de ne plus rien ressentir pour ne surtout pas avoir à en souffrir.
Plus jamais qu'il s'était dit lorsqu'il était monté dans cette putain d'ambulance.
Plus jamais lorsqu'il avait compris, avant la fin, que tout était déjà entrain de mourir autour de lui.
Comment se relever quand on porte sur soit les stigmates d'une relation aussi toxique qu'abusive, aussi puissante que destructrice.
Fin, c'était le mot qu'il s'était tatoué sur les côtes depuis.
Et c'est sans doute pathétique mais c'est comme ça.
Quand on a passé tout ce temps à rester dans l'ombre, il est dur d'accepter les rayons de lumière sans avoir le sentiment de se brûler.
Pff, je te disais ça parce que je voulais que tu m'accompagnes. Et merde ! qu'il pense, le courtier, un peu pris de court. Il se sent stupide, c'est vrai. C'est souvent le cas. Réfléchir avant d'agir, c'était pas dans sa nature. Il en était plutôt l'exact opposé. Se laissant porter par ses impulsions, ses émotions, comme un enfant, fatalement. Il soupire, sans même prendre le temps de s'excuser ou de chercher à se justifier.
Je pars quatre jours, en comptant le voyage. et c'était une bonne idée, dans le fonds, que de quitter Los Angeles quelques jours.
En agréable compagnie qui plus est. Envisager les choses sous un autre angle, envisager un réveil différent aux côtés d'un mec qui n'était pas pour lui déplaire, bien au contraire.
Envisager d'aimer tout simplement, parce qu'au fond, c'est ce qu'il tendait à faire, n'est-ce pas ?
Peut-être qu'avec de la bonne volonté.
Encore un mot qu'Ode ne connaît pas, plutôt du genre a rechigner et à tourner les talons au premier obstacles. Il avait connu l'enfer, il avait touché le fond et il n'avait, aujourd'hui, plus la force de s'y résigner. S'il fallait se battre, il préférait être de ceux qui abandonnent.
Trop fatiguant, trop épuisant et même s'il le désirait ardemment, il refusait de prendre des coups.
... un silence, comme une pause, qui en dit long. Abel l'observe, Ode pourrait esquisser un premier mouvement. Il pourrait s'excuser, pour commencer, mais ne le fera pas. Il reste stoïque, les bras croisés sur sa poitrine. Il se mue dans son agacement parce que c'est toujours plus simple pour lui de camper sur ses positions que d'admettre qu'il pourrait avoir eu tort.
Moi je continue, comme ça j'aurais le temps de contempler sans qu'on me le reproche ET de voir ce fichu lac ! qu'il ajoute en tournant les talons et en reprenant la marche. Il y a cinq secondes pendant lesquels le courtier hésite, c'est vrai, à poursuivre et puis... il reprend la marche. Dans un silence de plomb, laissant les oiseaux parler pour eux. Il glisse les deux mains dans ses poches et se tait, simplement.
Silence gêné.
Silence coupable.
Un pied après l'autre, à proximité de cet homme qui pourrait lui offrir plus qu'une simple promenade mais auquel il n'est pas capable, encore, de s'abandonner. Il se passe bien une ou trois minutes avant qu'Ode finisse par briser la glace.
Je viendrais volontiers, si tu me le proposais. à moitié une excuse, à moitié un reproche, c'est sa façon à lui d'fonctionner. Reconnaître un peu ses torts tout en faisant une pirouette.
C'est où ? qu'il ajoute, curieux. Peut-être qu'après toutes ces années, il a l'droit à un peu de répit et de paix. Peut-être qu'il devrait accepter qu'on puisse l'apprécier, aussi. Comprendre qu'il n'est pas aussi mauvais qu'il le croit...
ou peut-être plus autant.