Revenir (Talya & Riley)

Il fait nuit. Mais à travers le hublot, des centaines de milliers de lumières dessinent les routes, témoignent de la hauteur des buildings, de l'immensité des stades si caractéristiques de la Californie.

Je n'ai pas posé un pied sur le tarmac que je me sens arrivée chez moi, à la maison. Sur ma peau et dans mes veines, une chaleur se répand, mémoire du soleil californien et de tous ces moments de joies passés et partagés sur ce bout de terre.

Lorsque nous atterrissons, l'excitation se fait plus forte au creu de mon estomac. Je ne tiens plus en place, trouve les files et l'attente pour ma valise interminable. Car je sais qu'elle est là, qu'elle m'attend derrière ce sas. Elle me l'a promis et ce que nous avons traversé ensemble à l'adolescence nous a lié d'une confiance et d'une loyauté sans failles.

Alors valise en main, je passe le sas, mes yeux la cherchent à travers la foule et enfin son visage, sa silhouette se détache. C'est au pas de course que je la rejoins et me jette dans ses bras, laissant mon sac de voyage tomber lourdement sur le sol. Des rires presque nerveux s'échappent de ma gorge alors que je resserre mon étreinte autour d'elle, m'impregnant de son odeur. C'est que son silence m'a foutu la trouille. Si on ne s'écrit pas tous les jours, Talya n'a jamais été silencieuse. Ces mois sans nouvelles alors qu'elle travaillait en Haïti engagée dans une mission humanitaire m'avaient rendu folle.

"Putain que c'est bon ! Qu'est-ce que tu m'as manqué et qu'est-ce que tu es belle !"

Relâchant mon étreinte, je recule d'un pas, ne lâchant cependant pas ses mains pour la regarder plus attentivement.

"Dis-moi, comment tu vas Adams ?"

Lui faisant face, je scrute avec attention chacun de ses traits. Un à un je les compare avec mes si nombreux souvenirs d'elle... Depuis combien de temps je la connais maintenant ? Dix ans ? Non plus de quinze ans. Et au fur et à mesure que je la dévisage un sentiment de soulagement me gagne car Talya, la Talya de mes souvenirs n'a pas changé.

Et au fond, c'est sûrement ça, ce dont j'avais besoin pour mon retour. Faire appel à elle n’a rien d’anodin.

Ce visage rassurant, cette chaleur dans son sourire, cet air malin aux commissures de ses lèvres lorsqu'elle me taquine. "Arrête, on connaît toutes les deux tes techniques de drague qui laissent à désirer...".  Provocatrice, je lui réponds comme si le temps n’était pas passé, comme si la distance n’avait rien changé à notre relation.

Bien sûr, Talya me parait plus femme maintenant que nous avons passé la trentaine mais pas seulement, elle me paraît plus affirmée, plus confiante que jamais.

Une confiance qui me manque encore un peu aujourd’hui.

"Ça va... Je crois que je suis contente d'être rentrée."

Parce que cette décision de rentrer faisait suite à cette expérience de mort imminente lorsque à quarante de fièvre, complètement déshydratée,  hallucinée dans un village paumé au milieu de nul part sans médecin à moins d’une centaine de kilomètre à la ronde, je m’étais sentie sur un fil. Parce que j’avais soudain pris conscience que ça aurait pu être la fin et que j’avais perdu trop temps loin de ceux que j’aimais. Un temps que je ne rattraperais jamais.

"On va prendre un café ? Je veux tout savoir... Ton boulot à l'hôpital, ton voyage en Haïti, si tu as trouvé chaussure à ton pied..."

Sans attendre son accord, je passe mon bras sous le sien et jette mon sac sur mon épaule. "J'ai essayé de ne prendre que le strict nécessaire pourtant !". Mais forcément, six ans de voyages ne pouvaient se faire sans un sac conséquent. Je lui souris et nous dirige vers un café plus intimiste, éloigné de la foule qui n’en fini pas d’aller et venir dans les grands halls de l’aéroport.

Le café dans lequel nous entrons est fait d'arcades. Dans chacune d'elle se trouve deux banquettes qui se font face, séparées par une large table en ébène. Les prises électriques et USB ne cachent rien sur l'utilisation de cet espace de coworking. Malgré sa vocation, le lieu est joliment décoré et intimiste. Sur l'un des sièges je dépose mon sac et me glisse sur l'assise, face à Talya. "Je te promets que je trouverai mieux que cet endroit pour notre prochain rendez-vous". Parce qu'il fallait bien un second rendez-vous pour la remercier d'être venue me chercher mais aussi et surtout parce qu'à présent, je ne veux plus perdre une seconde avec ceux que j'aime et que Talya fait partie du haut de la liste.

Talya qui, comme si elle lisait en moi, me demande de lui affirmer haut et fort ce que je pense. Alors je ris et attrape ses mains fines entre les miennes pour capter son regard. "Je suis plus qu'heureuse de te retrouver Adams. Tu m'as terriblement manqué". Mais. Mes lèvres se resserrent et mon sourire tend à s'effacer. Mon regard se fait plus insistant lorsque je lui avoue. "J'ai été très inquiète de ne pas avoir de tes nouvelles...". Moi non plus, je n'en avais pas donné. Pour ça je ne pouvais lui en vouloir. Je veux simplement qu'elle sache que je me préoccupe et me préoccuperais toujours d'elle.

Elle qui balaye ce moment presque solennel par de l'humour auquel je réponds sans me faire prier. "Qu'est-ce que j'en ai de la chance... Le médecin le plus sexy de Los Angeles s'occupe de moi... Je crois que je vais bientôt te demander une consultation !". De nouveau mon rire envahit l'espace de l'arcade. Il y avait eu ma crise de paludisme mais surtout, il y a ce projet dont je lui parlerai plus tard. Ce projet d'enfant. "Ah oui c'est très récent... Tout peut encore arriver !". Je ris de nouveau. "Je suis sûre que tu vas assurer !". A cet instant, je ne peux cacher cette fierté que je ressens à son égard. Au regard de notre parcours, de notre histoire commune Talya a du mettre plus d’efforts que n’importe qui pour s'en sortir. Sa réussite est remarquable.

La serveuse nous interrompt, je lâche le regard de Talya seulement pour lui commander une formule petit déjeuner. "Deux filles... Je croyais que Gia comptait déjà pour quatre... Qui est cette mystérieuse prétendante ? C'est que je vais commencer à être jalouse !". Le service est rapide et déjà, je me régale de mon café, de pancakes et d'une salade de fruit. Les questions de Talya elles aussi s'enchaînent et fidèle à elle-même, à cette franchise que je lui connais, elle ne tarde pas à mettre les pieds dans le plat. "Je vais essayer d'aller chez Alice. Je ne sais pas comment elle va m'accueillir mais la connaissant, passé la tempête ça devrait aller". Ma meilleure amie ne m'a jamais fait défaut. Je la connais entière et je ne me leurre pas, elle ne sera pas tendre au début... Mais je ne crois pas à l'insurmontable avec Alice. Elle est bien plus raisonnée et fidèle que ce qu'elle peut laisser à voir. "Concernant Lola... Je n'ai plus de nouvelles. Je crois que je ne veux pas la revoir. Entre elle et moi ça été intense mais ça m’a complètement détruite. Sans le vouloir, elle déclenchait cette colère en moi, que je ne parvenais pas à canaliser. J’ai été affreuse, violente… Je ne me reconnaissais plus". Et il m’a fallut six années pour me retrouver… Distraitement je joue avec mes fruits, sans même les porter à ma bouche, perdant peu à peu l’appétit. "J’ai envie de prendre le temps, de faire la bonne rencontre et d’aimer simplement, sans colère, sans cris, sans heurts".