Si peu d'écart entre eux.
Et pourtant, tant de distance.
Distance immense, distance intense.
Distance qui dévore, ne laisse rien en son sillage.
Distance violente, assourdissante, assomante.
Distance palpable, distance malléable.
Mais invisible.
Surtout pour lui.Lui, c'est moi. Oscar, l'italien. Enroulé dans une serviette comme un rouleau de printemps, les cheveux encore trempés par une baignade, les ongles des mains et des pieds fraichement manucurés. Le stade inévitable entre le brouillon et le chef d'oeuvre: l'argent de Silas fait de moi une beauté. Sa beauté. Poupée de cire, moulée à sa guise. On suit le programme, sans se poser de questions.
Sur bien nombreux aspects, je lui appartiens.
À toi, le tien,
À moi, le mien,
Mon mien.
Où étais-tu lorsque je hurlais ton nom dans la solitude de la nuit?
Larousse a écrit: entracte
nom masculin
(de entre et acte)
1. Espace de temps qui sépare les différents actes d'une représentation théâtrale, les diverses parties d'un spectacle.
2. Intermède, divertissement destiné à occuper cet intervalle.
Synonyme : interlude
3. Temps d'arrêt, de repos, de répit dans une action ; pause ; courte interruption : Ce n'était qu'un entracte dans l'échange de projectiles.
Synonyme : pause
4. Composition instrumentale destinée à servir d'intermède entre les différents actes d'un spectacle théâtral ou lyrique. (Il peut s'intégrer à une musique de scène.)
C'est dans la définition 3 que je nous retrouve. Le temps mort entre les deux actes de notre histoire. L'entracte de notre union. Je t'attends, et dieu seul sait à quel point cela m'est insupportable. La pause silencieuse est plus cruelle qu'un véritable arrêt tranché. Elle suffoque et prive d'air jusqu'à l'asphyxie.
Rimettiti in sesto, Oscar. Ispirare. Scade.Le silence pèse dans la salle. Je me demande si elle sait que tu en es responsable, Silas. À tous les coups, la pauvre Alice doit se dire que le mal-être provient de sa présence.
Impensable.Un sourire germe au coin des lèvres. Discrètement, avec toute la délicatesse d'une pousse hésitante, et toute la promesse d'une orchidée éclatante. Le sourire s'accroît doucement, nourri par la chaleur de mes origines et mon tempérament bon-enfant.
Il y a quelque chose d'hautement absurde à cette situation. Si Adriel ou Gabriel ou même Zus m'avait vu dans pareil accoutrement, je me serais très rapidement décoiffé, embarrassé par cette serviette imposante qui trône sur ma tête. Mais les enjeux sont différents, avec Alice. C'est une femme. Je m'attends déjà à ce qu'elle comprenne. Je n'ai rien à lui cacher. Je ne cherche pas ... Plus ... À lui faire croire que je suis un homme que je ne suis pas.
Salout! Moi c'est Oscar!Un accueil chantant comme une promesse, des yeux enflammés par l'appel de la chair. Le but de séduire, celui de découvrir un nouveau pan, une nouvelle facette de la vie.
Sexualité.Fluide, sinueuse, perfide comme une couleuvre.
Elle gouverne les mouvements, dicte les pensées, contrôle les moeurs.
J'ai été son esclave un long moment, après l'accident.
Parfois je me retrouve encore livré à sa merci.
Alice, la parenthèse.
L'écho qui se perd au fond de la caverne.
On sort de son corps un instant, pour devenir quelqu'un qu'on n'est pas réellement.
Jouer le rôle devient libérateur. On devient soudain Oscar, non pas le douillet, mais le mâle, virile et protecteur.
Le masque s'effrite rapidement une fois l'acte terminé et l'impensable commis.
Tout tombe en miettes.
Mis à nu, pour la deuxième fois en le plus bref des instincts. D'abord, de corps à corps. Ensuite, d'âme à âme.
Tu m'as vu, Alice. Pour celui que j'étais réellement. Précieux, craintif, fragile, perdu. C'était il y a longtemps. C'était il y a hier. Aujourd'hui, je n'ai rien à te cacher. Demain, je serai le même.
Oscar.
Et pourtant, je ne t'ai pas menti. Pas réellement. Derrière mes allures et mes faux-semblants, tu as vu ma délicatesse dans l'art que j'avais de savoir embrasser, comme
moi j'aimais être embrassé. Tu as senti ma douceur dans les tendresses de mes caresses et le charme saccharin de mes mots. Tu as vécu ma sensibilité dans la langueur de mes mouvements, nos corps entrelacés, mes mouvements prudents épousant les tiens avec toute l'élégance et la finesse qui manquait souvent si cruellement à mes ébats avec mes innombrables amants abandonnés aux annales du passé.
Entracte.
C'est ce que tu as été. Une entracte, phase de découverte dans un moment où je me perdais, quotidiennement. L'ironie du sort veut que nos chemins se croisent de nouveau dans cette nouvelle intermission que je vis à présent. Me remettras-tu de nouveau sur le droit chemin?
Ta réponse est un bon début. Rire gêné, désarmé. Je suis confus dans mon embarras, perdu entre les plis de ma propre bêtise.
«
En effet ! Ja n'y avais pas pensato ... Excouse moi ! » Le silence est gênant car il met à nu, comme cette nuit fatidique. On se retrouve face à toutes ses pensées. Mais les questions fusent: comment vas-tu? Qu'es-tu devenue, depuis? La curiosité est un vilain défaut, apparemment, et j'ai toujours été un enfant sage. Pourtant ...
Pourtant, il y a ce petit quelque chose, que les français qualifieraient de « je ne sais quoi ».
Cette leur d'aventure et d'émoi qui pétille dans ton regard.
Comme regarder dans un miroir.
Sans savoir l'expliquer, je vois mon reflet en toi. Une affinité qui ne s'explique pas. Ça a toujours été le cas. C'est ce qui a attiré nos champs magnétiques il y a toutes ces années, j'en suis persuadé: on se ressemble, fondamentalement. Taillés de la même roche. Des statues de marbre, criblées d'imperfections, ravagées par les expériences et les années. Mais pas moins somptueuses pour autant.
Quand je te regarde, je retrouve ces doutes et ces questionnements qui me pèsent également. Tu es très probablement préoccupée par des choses bien différentes ... Mais la sensibilité reste la même. Le poids reste le même. La solitude reste la même.
La lis-tu, malgré mon apparence décontractée et mon humeur apaisée? Cette solitude qui me ronge de l'intérieur et menace de me tuer? Ce désarroi qui s'accroche à moi comme tes ongles trois années plus tôt? La lis-tu seulement?
Moi, je la lis.
Dans tes regards, fuyants et évasifs.
Dans tes traits, affermis par le temps et les contrariétés.
Dans ton language corporel, renfrogné et tendu.
Et ça m'émeut, de voir tant de solitude, Alice. Car je ne sais que trop bien à quel point elle peut être cruellement accablante.
Deux naufragés, perdus à la mer, sur le point de se noyer.
Mais ... Qu'adviendrait-il si on se tendait la main pour essayer de se sauver?
«
Oh, oui, ja me doute ... Moi aussi en vérité ... » Nouveau silence. Que dire à une âme en peine lorsque cette peine est étrangement partagée? Je ne saurais te consoler, Alice: moi-même, je traverse ce même calvaire. «
Si ça peut te rassourer, les services sont très bien ici ... Ja souis ici dapouis ça matin et ça m'a beaucoup détendou. Il corpo, tout dou moins ... »
L'esprit en ébullition reste une fontaine dégueulant d'idées. Aucun massage, aucune baignade ne saurait taire le ruisseau de questionnements que je me pose, incessamment. Ainsi est le lot de ceux maudits par l'introspection. Je sais que tu sais de quoi je parle, Alice: cette malédiction est également écrite sur le tien, de visage. Je la vois. Il faut dire que tu ne cherches pas particulièrement à la cacher.
«
Oui, peu de cose près ... » Cette solitude que tu portes en ton coeur n'a pas changée, en tout cas. Elle s'est peut être approfondie et affermie, comme celle qui me pèse autour du cou comme une ancre en acier. Mais elle est bien présente, comme au premier soir. Elle ne s'est pas envolée.
«
Oh, la danse! Est chouette comme carrière en tout cas! » Nouveau silence. Je repense à la danse de ce fameux soir, lorsque nos corps se sont cherchés sur la piste bariolée et que nos rires ont été étouffés par les cris des haut-parleurs. «
Ja me souviens que tou dansais très bien, è vero. Ça ta plait bien? » Meubler la conversation comme on meublerait une maison qui ne nous appartient pas: maladroitement, avec des objets de toutes tailles, de toutes couleurs et de toutes formes, qui ne s'assortissent pas. C'est l'intention qui compte.
Et toi, à quoi ressemble ta vie ?Aucune lame n'est plus profonde que celle qui va droit au but.
C'est ta mère qui t'a appris à poignarder avec autant de précision?
C'est mon regard, qui fuit, désormais. Évasif. Perdu.
«
La mia vita? C'est oune excellente question ... » Le désir brûlant de parler de lui, de Silas, et de cette lassitude pesante que je vis quotidiennement à cause de ses absences chroniques est difficile à apaiser. Mais il le faut. Je ne peux pas admettre ces choses là à voix haute. Pas tant qu'il reste une lueur d'espoir, au fond de moi. Cela serait rendre la chose bien plus réelle que je ne le voudrais. Trop réelle. Une réalité accablante.
«
Ja travaille toujours au centre LGBT de Los Angeles. » Je me rends compte que tu ignorais également ce détail me concernant: difficile de charmer une femme en affirmant son homosexualité. Je n'ai rien trahi, lors de notre rencontre. Pendant quelques heures, j'ai incarné mon rôle à la perfection. Un masque finit toujours par tomber en lambeaux. «
Ja souis conseiller jouridique. j'aiuto l'organisation à adhérer aux ... Hmm ... Lei requisiti di conformità legale ... Ja souppose qu'en anglais vous appelez ça les « exigences légalés da confourmité » ... Et j'aiuto aussi les visiteurs dou centre qui ont besoin de conseil sour la question ... » Nouveau silence. «
Ça pas aussi passionnant qua la danza, ma ça ma plaît quand même. » Le désir brûlant
(pour ne pas dire, le feu ardent ) de se sentir utile. C'est uniquement ainsi que je peux réellement ressentir mon existence.