Talya S. Adams aime ce message
@Yannick B. Hobbs
Los Angeles, CA
Juin 2023
Juin 2023
Qu’importe le jour et l’heure, la circulation finissait inéluctablement par s’apparenter à un vaste bourbier, sitôt que les abords du Centre ville commençaient à poindre à l’horizon. Réduit à l’allure d’un escargot asthmatique, le taxi à la carlingue canari sinuait entre les files de véhicules engorgées, tel un géantiste embarqué dans un slalom. Bien en peine pour se frayer un passage à travers cette marée vrombissante, sa progression fut bientôt condamnée à un train de sénateur. Battus par les rayons du soleil galopant vers son zénith, une forte odeur de cuir émanait des sièges et embaumait désormais toute la partie postérieure de l’habitacle.
Assis sur la banquette arrière dans une semi-apnée, le sémillant Docteur laissa sa tempe reposée sur le montant de la portière. Le nez pointé vers la vitre, il contempla d’un œil distrait le ballet erratique décrit par les badauds fourmillant sur le trottoir. D’abord subtile, une moue dubitative s’esquissa distinctement sur son visage, à mesure que la buée colonisa la surface translucide, sous les assauts répétés d’un souffle quiet. A la manière d’un vieux vinyle rayé, son esprit rabâchait sans relâche le déroulé sibyllin d’un échange épistolaire dématérialisé, entrepris avec un dénommé Reed Gallagher une semaine auparavant.
En sa respectable qualité de rédacteur en chef, au sein du non moins florissant L.A Times, l’instigateur de la discussion formula rapidement le souhait de s’entretenir avec son correspondant, afin de lui soumettre "une proposition susceptible de l’intéresser au plus haut point". Aussi perplexe qu’intrigué, le destinataire s’empressa alors de demander quelques éclaircissements quant à la nature de ladite proposition. Guère enclin à en livrer les détails par voie de courriels interposés, son interlocuteur se montra très évasif et éluda habilement la question, en déclarant qu’il préférait lui en exposer la teneur de visu. Finalement, et de façon somme toute unilatérale et impérieuse, un rendez-vous fut convenu et arrêté à la date d’aujourd’hui.
S’ensuivit une rupture abrupte et soudaine de la communication, comme pouvait encore en attester son dernier e-mail resté lettre morte. Barbotant indirectement, et à son corps défendant, dans le marigot des affaires depuis qu’il était en âge de ne plus mouiller ses couches ; Håkon peinait à concevoir qu’un rédacteur en chef – jamais rassasiés de scoops sensationnels – puissent donner dans la grandeur d’âme et verser dans le mécénat. Improbable, certes ; impossible, pas complètement. Aussi famélique pouvait-il être, s’il existait, pour une obscure raison qui lui échappait totalement, un espoir que cette publication ait à cœur de subventionner ses travaux … le chercheur pouvait bien se fendre d’un trajet aux airs de parcours du combattant, à travers la jungle des embouteillages saturant le cœur de la ville.
Toutefois, le colosse à la huppe blonde ne se fit guère trop d’illusions. Même s’il n’y en avait pas des pages dans l’annuaire, le fait est que Los Angeles abritait en son sein, au moins trois spécimens estampillés Walsingham. Un businessman, un artiste et un intellectuel. Tels étaient les éléments hétéroclites composant ce triptyque d’homonymes. En outre, et eu égard à la fixette qu’eurent ses augustes parents pour la huitième lettre de l’alphabet, le quiproquo était si vite arrivé. Un H. Walsingham pouvait aisément en cacher un autre. Preuve en est avec cet appel téléphonique acrimonieux de l’orchestre philharmonique, qu’il essuya de plein fouet le mois dernier, en lieu et place de son frère Harry.
La logique et le bon sens voudraient qu’un canard ayant pignon sur rue dans le domaine de la retransmission de l’information et la sphère médiatique, soit davantage désireux de traiter avec un implacable banquier d’affaires de la trempe d’Harold. Aîné de l’illustre portée et digne héritier de l’œuvre paternelle. Dans l’embarras du doute, le viking s’était résolu à honorer l’entrevue, fixée sans qu’il n’ait véritablement eu voix au chapitre. Ne serait-ce que pour rectifier la méprise et transmettre à l’éminent éditorialiste les coordonnées de son frère, afin qu’il puisse dès lors entrer en contact avec lui.
Quinze filandreuses minutes d’un périple à travers les brumes nauséabondes des gaz d’échappement, entrecoupé d’hargneuses salves de klaxon plus tard ; le chauffeur informa son passager de l’arrivée à bon port. Sans plus tergiverser, l’alumni d’Oxford tendit une fine liasse de billets en direction de la cloison en plexiglas. Pressé par le temps, il quitta en toute hâte le véhicule et se fit grand prince, en priant le conducteur de bien vouloir garder la monnaie. Un pourboire des plus rondelets qui ne manqua pas de faire la joie du bénéficiaire, à en juger par son regard ébahi et ses remerciements enthousiastes.
Toisé par un monumental gratte-ciel, tout de verre et d’acier vêtu défiant les cimes, Håkon hissa la tête vers l’azur céleste pour mieux en apprécier la crête. Ecrasé - pour ne pas dire oppressé - par l’architecture grandiose du bâtiment, ses yeux pers s’écarquillèrent, traçant ainsi des sillons sur les hauteurs de son front. Salive âprement déglutie, il rassembla toute sa consistance et puisa un surcroît de motivation en prenant une profonde inspiration. Recraché par le carrousel d’une porte tambour, le fringant trentenaire arriva alors dans un immense hall à la hauteur de plafond vertigineuse. Inondés de lumière par trois imposantes baies vitrées, les lieux étaient savamment agencés et décorés dans un luxe à la fois épuré et empli de raffinement.
Omniprésentes, la fatuité et l’auto-satisfaction des dirigeants pouvaient presque dégouliner des aquarelles rivées aux murs. Quand elles ne transpiraient pas des pores laiteux des statues, ou ruisselaient dans le bassin oblongue de la fontaine trônant au centre de l’endroit. Incrédule, le visiteur se sentit aussi à sa place et dans son élément, qu’un vieux survêtement informe catapulté sur un podium en pleine Fashion Week. Armé d’un pas circonspect, il alla à la rencontre de la réceptionniste. Une fille de Vénus à l’aube de la vingtaine, dont le style quelque peu voyant détonnait avec le décorum ambiant. Relevés, ses cheveux blonds étaient coiffés d’une façon indéfinissable, à mi-chemin entre le bun et le chignon banane. Echouées sur la pointe du nez, ses lunettes à la monture vintage menaçaient à tout moment de se faire la malle.
"Bonjour, je … .", commença-t-il, avant de s’interrompre tel un automate tombant en rade sans crier gare. Absorbée par l’écran de son smartphone, l’hôtesse d’accueil l’invita - dans un dédain à peine voilée - à prendre patience, en levant un index manucuré et peinturluré d’acrylique vermillon. Consterné, le paléopathologiste arqua les sourcils et s’efforça de museler au mieux son mécontentement, en se mordant l’intérieur des joues. Au gré des scrolls jaillirent ici et là quelques gloussements niais, entremêlés de "Ah non mais, j’hallucine ! J’hallucine grave !", respirant tout sauf la vivacité intellectuelle. Droit comme un cierge pascal, et malgré tout aussi digne qu’un empereur bafoué ; le scientifique contint son exaspération grandissante, en serrant le poing autour de la sangle d’une sacoche passée en bandoulière, et épousant les solides reliefs de son torse.
"Et moi donc … !", songea-t-il, non sans sarcasme, en caressant le plafond de ses prunelles. Au bout de l’espoir, et accessoirement de la placidité de ses nerfs, la technophile pas tentée daigna enfin sortir de l’orbite de la planète Instagram, pour lui faire la grâce d’un regard. "Ouais ?", demanda-t-elle désinvolte, dans un degré de professionnalisme n’ayant d’égal qu’à sa manière bruyante, et fort peu ragoûtante, de mastiquer son chewing-gum. Déployant des trésors d’effort pour conserver son sempiternel flegme, sévèrement mis à mal, l’interrogé ne se fit pas davantage prier, et exposa avec le minimum syndical de formes l’objet de sa venue.
"J’avais rendez-vous avec Reed Gallagher à onze heures.", confia-t-il dans une savante dose de politesse et de déférence, qui l’étonna au premier chef. Dans un soupir las à enrhumer les anges, la péronnelle en puissance porta son attention sur l’ordinateur lui faisant face et en pianota mollement les touches. "Håkon Walsingham. Avec un W", jugea-t-il bon d’ajouter, sitôt que la vérification d’usage prit une tournure anormalement longue. Coude vissé sur son poste de travail, la standardiste cala son menton dans la paume de sa main, et fit crisser la roulette de la souris ergonomique à sa droite. "Walsingham, Walsingham … ah oui ça y est, je vous ai trouvé ! Je le préviens que vous êtes arrivé.", déclara-t-elle dans un verbe je-m’en-foutise, en armant le combiné du téléphone contre son oreille.
Pas mécontent d’entrevoir enfin le terminus de ses peines, le gaillard lâcha un laconique, mais non moins reconnaissant "Merci", qu’il enroba dans un modique signe de tête et un sourire pincé. Dérivant sur la gauche, son regard s’heurta contre un mini-présentoir en fer forgé, assis sur le sommet du comptoir et garni de plaquettes publicitaires chantant les louanges du journal. Machinalement, il piocha un exemplaire puis en survola promptement le contenu, qui oscillait entre grandiloquence racoleuse et dithyrambe vaniteuse. Sans doute aurait-il été de bon ton de s’informer sur cette terra incognita, avant de s’y retrouver plongé. Mais bon, mieux valait tard que jamais.
They paved paradise and put up a parking lot.
Assis sur la banquette arrière dans une semi-apnée, le sémillant Docteur laissa sa tempe reposée sur le montant de la portière. Le nez pointé vers la vitre, il contempla d’un œil distrait le ballet erratique décrit par les badauds fourmillant sur le trottoir. D’abord subtile, une moue dubitative s’esquissa distinctement sur son visage, à mesure que la buée colonisa la surface translucide, sous les assauts répétés d’un souffle quiet. A la manière d’un vieux vinyle rayé, son esprit rabâchait sans relâche le déroulé sibyllin d’un échange épistolaire dématérialisé, entrepris avec un dénommé Reed Gallagher une semaine auparavant.
What do you want from me ?
En sa respectable qualité de rédacteur en chef, au sein du non moins florissant L.A Times, l’instigateur de la discussion formula rapidement le souhait de s’entretenir avec son correspondant, afin de lui soumettre "une proposition susceptible de l’intéresser au plus haut point". Aussi perplexe qu’intrigué, le destinataire s’empressa alors de demander quelques éclaircissements quant à la nature de ladite proposition. Guère enclin à en livrer les détails par voie de courriels interposés, son interlocuteur se montra très évasif et éluda habilement la question, en déclarant qu’il préférait lui en exposer la teneur de visu. Finalement, et de façon somme toute unilatérale et impérieuse, un rendez-vous fut convenu et arrêté à la date d’aujourd’hui.
S’ensuivit une rupture abrupte et soudaine de la communication, comme pouvait encore en attester son dernier e-mail resté lettre morte. Barbotant indirectement, et à son corps défendant, dans le marigot des affaires depuis qu’il était en âge de ne plus mouiller ses couches ; Håkon peinait à concevoir qu’un rédacteur en chef – jamais rassasiés de scoops sensationnels – puissent donner dans la grandeur d’âme et verser dans le mécénat. Improbable, certes ; impossible, pas complètement. Aussi famélique pouvait-il être, s’il existait, pour une obscure raison qui lui échappait totalement, un espoir que cette publication ait à cœur de subventionner ses travaux … le chercheur pouvait bien se fendre d’un trajet aux airs de parcours du combattant, à travers la jungle des embouteillages saturant le cœur de la ville.
Gold digger.
Toutefois, le colosse à la huppe blonde ne se fit guère trop d’illusions. Même s’il n’y en avait pas des pages dans l’annuaire, le fait est que Los Angeles abritait en son sein, au moins trois spécimens estampillés Walsingham. Un businessman, un artiste et un intellectuel. Tels étaient les éléments hétéroclites composant ce triptyque d’homonymes. En outre, et eu égard à la fixette qu’eurent ses augustes parents pour la huitième lettre de l’alphabet, le quiproquo était si vite arrivé. Un H. Walsingham pouvait aisément en cacher un autre. Preuve en est avec cet appel téléphonique acrimonieux de l’orchestre philharmonique, qu’il essuya de plein fouet le mois dernier, en lieu et place de son frère Harry.
Je découvre un autre que moi.
La logique et le bon sens voudraient qu’un canard ayant pignon sur rue dans le domaine de la retransmission de l’information et la sphère médiatique, soit davantage désireux de traiter avec un implacable banquier d’affaires de la trempe d’Harold. Aîné de l’illustre portée et digne héritier de l’œuvre paternelle. Dans l’embarras du doute, le viking s’était résolu à honorer l’entrevue, fixée sans qu’il n’ait véritablement eu voix au chapitre. Ne serait-ce que pour rectifier la méprise et transmettre à l’éminent éditorialiste les coordonnées de son frère, afin qu’il puisse dès lors entrer en contact avec lui.
Quinze filandreuses minutes d’un périple à travers les brumes nauséabondes des gaz d’échappement, entrecoupé d’hargneuses salves de klaxon plus tard ; le chauffeur informa son passager de l’arrivée à bon port. Sans plus tergiverser, l’alumni d’Oxford tendit une fine liasse de billets en direction de la cloison en plexiglas. Pressé par le temps, il quitta en toute hâte le véhicule et se fit grand prince, en priant le conducteur de bien vouloir garder la monnaie. Un pourboire des plus rondelets qui ne manqua pas de faire la joie du bénéficiaire, à en juger par son regard ébahi et ses remerciements enthousiastes.
Like a skyscraper.
Toisé par un monumental gratte-ciel, tout de verre et d’acier vêtu défiant les cimes, Håkon hissa la tête vers l’azur céleste pour mieux en apprécier la crête. Ecrasé - pour ne pas dire oppressé - par l’architecture grandiose du bâtiment, ses yeux pers s’écarquillèrent, traçant ainsi des sillons sur les hauteurs de son front. Salive âprement déglutie, il rassembla toute sa consistance et puisa un surcroît de motivation en prenant une profonde inspiration. Recraché par le carrousel d’une porte tambour, le fringant trentenaire arriva alors dans un immense hall à la hauteur de plafond vertigineuse. Inondés de lumière par trois imposantes baies vitrées, les lieux étaient savamment agencés et décorés dans un luxe à la fois épuré et empli de raffinement.
Le fric, c’est chic.
Omniprésentes, la fatuité et l’auto-satisfaction des dirigeants pouvaient presque dégouliner des aquarelles rivées aux murs. Quand elles ne transpiraient pas des pores laiteux des statues, ou ruisselaient dans le bassin oblongue de la fontaine trônant au centre de l’endroit. Incrédule, le visiteur se sentit aussi à sa place et dans son élément, qu’un vieux survêtement informe catapulté sur un podium en pleine Fashion Week. Armé d’un pas circonspect, il alla à la rencontre de la réceptionniste. Une fille de Vénus à l’aube de la vingtaine, dont le style quelque peu voyant détonnait avec le décorum ambiant. Relevés, ses cheveux blonds étaient coiffés d’une façon indéfinissable, à mi-chemin entre le bun et le chignon banane. Echouées sur la pointe du nez, ses lunettes à la monture vintage menaçaient à tout moment de se faire la malle.
Material girl.
"Bonjour, je … .", commença-t-il, avant de s’interrompre tel un automate tombant en rade sans crier gare. Absorbée par l’écran de son smartphone, l’hôtesse d’accueil l’invita - dans un dédain à peine voilée - à prendre patience, en levant un index manucuré et peinturluré d’acrylique vermillon. Consterné, le paléopathologiste arqua les sourcils et s’efforça de museler au mieux son mécontentement, en se mordant l’intérieur des joues. Au gré des scrolls jaillirent ici et là quelques gloussements niais, entremêlés de "Ah non mais, j’hallucine ! J’hallucine grave !", respirant tout sauf la vivacité intellectuelle. Droit comme un cierge pascal, et malgré tout aussi digne qu’un empereur bafoué ; le scientifique contint son exaspération grandissante, en serrant le poing autour de la sangle d’une sacoche passée en bandoulière, et épousant les solides reliefs de son torse.
"Et moi donc … !", songea-t-il, non sans sarcasme, en caressant le plafond de ses prunelles. Au bout de l’espoir, et accessoirement de la placidité de ses nerfs, la technophile pas tentée daigna enfin sortir de l’orbite de la planète Instagram, pour lui faire la grâce d’un regard. "Ouais ?", demanda-t-elle désinvolte, dans un degré de professionnalisme n’ayant d’égal qu’à sa manière bruyante, et fort peu ragoûtante, de mastiquer son chewing-gum. Déployant des trésors d’effort pour conserver son sempiternel flegme, sévèrement mis à mal, l’interrogé ne se fit pas davantage prier, et exposa avec le minimum syndical de formes l’objet de sa venue.
I don’t wanna be a stupid girl.
"J’avais rendez-vous avec Reed Gallagher à onze heures.", confia-t-il dans une savante dose de politesse et de déférence, qui l’étonna au premier chef. Dans un soupir las à enrhumer les anges, la péronnelle en puissance porta son attention sur l’ordinateur lui faisant face et en pianota mollement les touches. "Håkon Walsingham. Avec un W", jugea-t-il bon d’ajouter, sitôt que la vérification d’usage prit une tournure anormalement longue. Coude vissé sur son poste de travail, la standardiste cala son menton dans la paume de sa main, et fit crisser la roulette de la souris ergonomique à sa droite. "Walsingham, Walsingham … ah oui ça y est, je vous ai trouvé ! Je le préviens que vous êtes arrivé.", déclara-t-elle dans un verbe je-m’en-foutise, en armant le combiné du téléphone contre son oreille.
Hallelujah !
Pas mécontent d’entrevoir enfin le terminus de ses peines, le gaillard lâcha un laconique, mais non moins reconnaissant "Merci", qu’il enroba dans un modique signe de tête et un sourire pincé. Dérivant sur la gauche, son regard s’heurta contre un mini-présentoir en fer forgé, assis sur le sommet du comptoir et garni de plaquettes publicitaires chantant les louanges du journal. Machinalement, il piocha un exemplaire puis en survola promptement le contenu, qui oscillait entre grandiloquence racoleuse et dithyrambe vaniteuse. Sans doute aurait-il été de bon ton de s’informer sur cette terra incognita, avant de s’y retrouver plongé. Mais bon, mieux valait tard que jamais.