@Abel P. Fox
Los Angeles, CA
UCLA
Juin 2023
UCLA
Juin 2023
Qu’est-ce que la vie d’un être humain ? Vous avez quatre heures. En l’état, pas vraiment. Toutefois, cette colle aux consonances existentielles et philosophiques, mérite bien que l’on s’appesantisse dessus quelques instants. Walsingham, définissez la vie. A cette question, l’interrogé se risquerait à répondre un tourbillon de premières fois sans cesse renouvelé, de la maternelle au cimetière. Point de vue intéressant. Quoi qu’un peu niais, simpliste et réducteur. A bien y regarder, le fait est que le vécu d’un individu est jonché d’expériences – uniques ou répétées – qui forgent son identité et lui confèrent toute sa singularité.
La chute de sa première dent de lait. Sa première heure de retenue. Son premier coup de foudre en plein cœur … qui est en général aussi synonyme de premier chagrin d’amour. Son premier baiser profond, qui en appellera bien d’autres. Sa première soirée entre potes, et par lien de cause à effet, sa première cuite, ainsi que sa première gueule de bois carabinée. Sa première confrontation avec la mort, par le biais des obsèques d’un proche ou d’un être cher. Sa grande première fois, un peu gauche, un peu maladroite, mais qui dieu merci tendra à s’améliorer, la répétition faisant et la pratique aidant. Sa première voiture, gage d’émancipation et de liberté. Son premier entretien d’embauche. Son premier chez soi.
Qu’ils soient tristes, anodins ou heureux, ces petits riens marquent de manière indélébile un Homme. Homme qui, arrivé au crépuscule de ses jours, se les remémore avec émoi, lorsqu’il regarde dans le rétroviseur, pour dresser un bilan de son passage ici-bas. Aujourd’hui est un jour à la saveur toute particulière pour la très altière Weronika Walsingham. Un jour à marquer d’une pierre blanche dans la vie d’une mère. Son petit viking est en effet en passe d’animer sa première conférence. Lui qui n’a jusqu’à présent participé à ce genre d’événements, qu’en qualité d’auditeur ou d’intervenant secondaire. A peine Håkon eut-il émergé des brumes du sommeil et avalé un café, que son téléphone se mit à sonner allégrement. En dépit du décalage horaire avec Charlestown, Madame sa mère affichait une exaltation, qui n’était pas sans rappeler celle qu’elle manifestait à la veille du coup d’envoi de la Fashion Week.
En un temps record, elle s’exclama plus de fois que son fiston ne saurait le dire, sur le fait qu’elle était fière et heureuse pour lui. S’ensuivit une logorrhée et une diarrhée verbale, dont le chercheur se serait volontiers passé à une heure aussi matinale. A plus forte raison avec aussi peu de caféine dans le sang pour la supporter. Admirable de patience et de placidité, la conversation – ou plutôt le monologue – se poursuivit sur haut-parleur dans la salle de bain, tandis qu’il fit sa toilette, se brossa les dents, se rasa, s’habilla et se coiffa. Se contentant de rebondir ici et là – et quand il en eut l’occasion - en répondant par quelques mots désincarnés. Domicile quitté, le benjamin de l’illustre portée arpente les trottoirs, en zigzagant sur son skateboard à la peinture écaillée. Le tout attifé d’un chicissime costume made in France d’excellente facture, son fidèle sac messenger passé en bandoulière.
Un spectacle et une combinaison plutôt détonante, qui ne manquent pas d’interloquer bon nombre de badauds - entre lesquels il sinue et louvoie agilement. Portable toujours greffé à l’oreille, son intarissable génitrice continue de lui tenir le crachoir. Entre deux états d’âme de rombière orgueilleuse et une préoccupation futile de matrone élitiste, l’épouse cocufiée dans les grandes largeurs se met à chanter de nouveau les louanges de la chair de sa chair. Au moins, l’ego et la confiance en lui de l’intellectuel devraient bien se porter après cela. Aussi euphorique qu’une groupie ou une cheerleader sur le retour, elle affirme que tout le monde ici se réjouit pour lui, et qu’elle ne raterait sa présentation sous aucun prétexte. Oh ... mon ... dieu !
"Maman, c’est une conférence sur l’Osteogenesis imperfecta d’hier à aujourd’hui, pas un talk show avec Oprah Winfrey. Ce n’est donc pas retransmis à la télévision. … Nan, pas même sur une obscure chaîne scientifique du câble.", explique-t-il consterné, les yeux levés au ciel et la tête dodelinant de gauche à droite. Bien qu’habitué, le kid de Rhode Island est toujours estomaqué de constater que les nababs de la trempe de sa mère, sont totalement déconnectés des réalités. Indignée, la Dame Patronnesse s’offusque de cet ignominieux manque de considération. La prunelle ne ses yeux tutoie la gloire et s’apprête à passer à la postérité, sans que l’événement ne soit relayé ? Quelle indignité ! La postérité … rien que ça ! Comme si le monde allait s’arrêter de tourner. Comme s’il pouvait en changer la face et le révolutionner. Soucieuse d’atténuer la déception inexistante de son rejeton, Madame Walsingham en remet une couche, et serine pour la énième fois qu’elle est incommensurablement fière de lui.
Même si elle ne manque pas de lui rappeler, qu’elle aurait préféré qu’il consacre sa vie à une activité moins macabre et morbide. Moindre mal. Tant que la fierté est là. C’est d’ailleurs ce qu’elle a encore dit pas plus tard qu’hier au Country Club, à Madame Cunningham autour d’un thé du Sichuan, au sortir de leur partie de tennis. Histoire de se faire mousser et de faire bisque bisque rage à sa chère amie. "Ouuuh, j’vois bien le coup venir … .", songe-t-il, en s’excusant par la gestuelle, après avoir évité de justesse la collision avec une adolescente absorbée par l’écran de son smartphone. Qui dit Madame Cunningham, dit forcément Tiffany Cunningham. Beau parti rencontré au lycée, phare de la jeunesse dorée américaine et quatrième plus riche héritière de la côte Est. Baillant silencieusement au corneille, le Rupin s’étonne que sa mère n’ait pas déjà volé l’arc et les flèches de Cupidon, pour s’improviser entremetteuse.
Un filandreux laïus sur la saharienne Y.S.L de sa partenaire de double sur le court gazonné plus tard, la bourgeoise se lance, avec ses airs de-ne-pas-y-toucher, dans la construction d’un échafaudage matrimonial aux petits oignons. "Bingo !", pense-t-il, en arborant un sourire niais et acquiesçant de la tête. Oh oui pour sûr, on devrait les inviter à dîner à la maison, la prochaine fois qu’il leur rendra visite. Sidéré et agacé, Håkon rit doucement sous cape en son for intérieur. Pourquoi faut-il que sa mère soit toujours si collet monté, même avec ses enfants ? Elle devrait y aller carrément franco en lui disant "Mon chéri, tu devrais copuler comme une bête avec Tiffany Cunningham dans tout les lits du Country Club et lui passer la corde au cou, avant qu’un autre coquelet s’adjuge la poule aux œufs d’or. Bon, je te le concède, elle n’a pas inventé la machine à cambrer les bananes. Mais dans le fond mon chéri, est-ce qu’on s’en bat pas un peu les reins !?".
Un peu brut de décoffrage certes, mais au moins cela aurait le mérite d’être clair. "Aussi charmante et délicieuse soit-elle, je te rappelle qu’elle vit à New-York et que je suis à Los Angeles. Ce qui n’est, tu en conviendras, pas très commode pour établir une relation suivie, sérieuse et fonder une famille.", objecte-t-il avec un brin d’ironie, alors qu’il traverse un passage piéton. Un petit jump avec grab de la planche réalisé, afin de monter sur le trottoir opposé. Définition de charmante selon le dictionnaire de la haute en quatre volumes : Fille à papa pleine de fric. Délicieuse ? Doux euphémisme pour peste. Pour rien au monde Posh s’entichera d’une croqueuse de diamants oisive, superficielle, narcissique et écervelée.
S’il ose à nouveau aimer … cela sera quelqu’un avec qui il partage de nombreux atomes crochus. Quelqu’un qui sera prêt à lui faire une place dans sa vie. Quelqu’un qui sera à même de le comprendre. D’un geste, d’un regard. Quelqu’un qui partagera ses goûts, ses centres d’intérêt. Quelqu'un qui l'acceptera tel qu'il est, et qui n’essayera pas de le changer. Quelqu’un comme la personne qu’il s’apprête à retrouver, par exemple. L’UCLA se dresse à l’horizon. Toujours aussi prolixe, maman poursuit son incoercible flot de futilités. Non sans bêtifier de temps à autres. Ce qui a le don de passablement exaspérer le fruit de ses entrailles. "Pitié maman, j’vais avoir trente-deux ans … . Il serait de bon ton que tu cesses de m’appeler ton bébé. Non seulement ça fait attardé, mais en plus ça invite à la régression mentale.", lâche-t-il dans un soupir désabusé, en se pinçant la racine du nez.
Guère à son goût, la mama fustige cet élan d’insolence et d’effronterie, en montant au créneau et dans les aigus. Evitant de justesse la surdité, Håkon ferme les yeux, grimace et éloigne le téléphone de son oreille. Au loin, la silhouette affûtée du sémillant Docteur Fox s’esquisse. Distance réduite, le paléopathologiste lève le bras et salue avec entrain son confrère. Un sourire enchanté et radieux peint sur les lèvres. Portable réarmé contre son ouïe, il décélère progressivement et profite d’un bref blanc entre deux tirades - légèrement moins courroucées – pour essayer d’en placer une. "Oui … ou… o… oui, oui … Ecoute maman, il va falloir que je te laisse, je suis arrivé à l’université. Oui … ouiii, c’est promis. D’accord. A toi aussi. Embrasse papa pour moi. A toute à l’heure.", conclut-il, les nerfs quelque peu attaqués et pas mécontent que cette communication touche à sa fin.
Aussi éreinté et groggy qu’un boxeur saoulé de coups à la fin d’un combat au meilleur des douze rounds, l’intello raccroche et pousse un soupir éléphantesque. Manifestation, ô combien flagrante et palpable, d’un soulagement qu’il n’attendait plus. "Putain, les mères, j’te jure … faut-il qu’on les aime pour les supporter !", lance-t-il, en renvoyant le smartphone dans la poche intérieure de son blazer. Le ton mi-badin, mi-harrasé. Un sourire jovial, et bientôt un éclat de rire. Succinct et rapidement contenu. L’agacement n’entame cependant en rien l'humeur jouasse et la forme olympienne, du fiston à sa môman. Primesautier, il salue convenablement son fringant collègue, en lui donnant une accolade. La classique entre hommes, avec contact réduit et tapes gaillardes dans le dos. "Comment vas-tu en ce grand jour, Prince Abi’ ?", s’enquit-il, le verbe taquin, les sourcils arqués dans un petit air mutin et le sourire canaille. Inutile d’avoir fait Maths Po’ ou Science Sup’, pour saisir la référence de cet affectueux sobriquet, un rien customisé. Preuve en est qu’entre puits de science et grand enfant, la frontière s’avère plus que poreuse.
Je vis, tu vis, sans joie, sans crie. J’assiste à notre lente agonie.
La chute de sa première dent de lait. Sa première heure de retenue. Son premier coup de foudre en plein cœur … qui est en général aussi synonyme de premier chagrin d’amour. Son premier baiser profond, qui en appellera bien d’autres. Sa première soirée entre potes, et par lien de cause à effet, sa première cuite, ainsi que sa première gueule de bois carabinée. Sa première confrontation avec la mort, par le biais des obsèques d’un proche ou d’un être cher. Sa grande première fois, un peu gauche, un peu maladroite, mais qui dieu merci tendra à s’améliorer, la répétition faisant et la pratique aidant. Sa première voiture, gage d’émancipation et de liberté. Son premier entretien d’embauche. Son premier chez soi.
Step by step. Bit by bit. Stone by stone. Brick by brick.
Qu’ils soient tristes, anodins ou heureux, ces petits riens marquent de manière indélébile un Homme. Homme qui, arrivé au crépuscule de ses jours, se les remémore avec émoi, lorsqu’il regarde dans le rétroviseur, pour dresser un bilan de son passage ici-bas. Aujourd’hui est un jour à la saveur toute particulière pour la très altière Weronika Walsingham. Un jour à marquer d’une pierre blanche dans la vie d’une mère. Son petit viking est en effet en passe d’animer sa première conférence. Lui qui n’a jusqu’à présent participé à ce genre d’événements, qu’en qualité d’auditeur ou d’intervenant secondaire. A peine Håkon eut-il émergé des brumes du sommeil et avalé un café, que son téléphone se mit à sonner allégrement. En dépit du décalage horaire avec Charlestown, Madame sa mère affichait une exaltation, qui n’était pas sans rappeler celle qu’elle manifestait à la veille du coup d’envoi de la Fashion Week.
She’s so excited, and she just can't hide it.
En un temps record, elle s’exclama plus de fois que son fiston ne saurait le dire, sur le fait qu’elle était fière et heureuse pour lui. S’ensuivit une logorrhée et une diarrhée verbale, dont le chercheur se serait volontiers passé à une heure aussi matinale. A plus forte raison avec aussi peu de caféine dans le sang pour la supporter. Admirable de patience et de placidité, la conversation – ou plutôt le monologue – se poursuivit sur haut-parleur dans la salle de bain, tandis qu’il fit sa toilette, se brossa les dents, se rasa, s’habilla et se coiffa. Se contentant de rebondir ici et là – et quand il en eut l’occasion - en répondant par quelques mots désincarnés. Domicile quitté, le benjamin de l’illustre portée arpente les trottoirs, en zigzagant sur son skateboard à la peinture écaillée. Le tout attifé d’un chicissime costume made in France d’excellente facture, son fidèle sac messenger passé en bandoulière.
I am a skater boy, they said, "See you later, boy"
Un spectacle et une combinaison plutôt détonante, qui ne manquent pas d’interloquer bon nombre de badauds - entre lesquels il sinue et louvoie agilement. Portable toujours greffé à l’oreille, son intarissable génitrice continue de lui tenir le crachoir. Entre deux états d’âme de rombière orgueilleuse et une préoccupation futile de matrone élitiste, l’épouse cocufiée dans les grandes largeurs se met à chanter de nouveau les louanges de la chair de sa chair. Au moins, l’ego et la confiance en lui de l’intellectuel devraient bien se porter après cela. Aussi euphorique qu’une groupie ou une cheerleader sur le retour, elle affirme que tout le monde ici se réjouit pour lui, et qu’elle ne raterait sa présentation sous aucun prétexte. Oh ... mon ... dieu !
C’est nous les imbéciles heureux.
"Maman, c’est une conférence sur l’Osteogenesis imperfecta d’hier à aujourd’hui, pas un talk show avec Oprah Winfrey. Ce n’est donc pas retransmis à la télévision. … Nan, pas même sur une obscure chaîne scientifique du câble.", explique-t-il consterné, les yeux levés au ciel et la tête dodelinant de gauche à droite. Bien qu’habitué, le kid de Rhode Island est toujours estomaqué de constater que les nababs de la trempe de sa mère, sont totalement déconnectés des réalités. Indignée, la Dame Patronnesse s’offusque de cet ignominieux manque de considération. La prunelle ne ses yeux tutoie la gloire et s’apprête à passer à la postérité, sans que l’événement ne soit relayé ? Quelle indignité ! La postérité … rien que ça ! Comme si le monde allait s’arrêter de tourner. Comme s’il pouvait en changer la face et le révolutionner. Soucieuse d’atténuer la déception inexistante de son rejeton, Madame Walsingham en remet une couche, et serine pour la énième fois qu’elle est incommensurablement fière de lui.
Même si elle ne manque pas de lui rappeler, qu’elle aurait préféré qu’il consacre sa vie à une activité moins macabre et morbide. Moindre mal. Tant que la fierté est là. C’est d’ailleurs ce qu’elle a encore dit pas plus tard qu’hier au Country Club, à Madame Cunningham autour d’un thé du Sichuan, au sortir de leur partie de tennis. Histoire de se faire mousser et de faire bisque bisque rage à sa chère amie. "Ouuuh, j’vois bien le coup venir … .", songe-t-il, en s’excusant par la gestuelle, après avoir évité de justesse la collision avec une adolescente absorbée par l’écran de son smartphone. Qui dit Madame Cunningham, dit forcément Tiffany Cunningham. Beau parti rencontré au lycée, phare de la jeunesse dorée américaine et quatrième plus riche héritière de la côte Est. Baillant silencieusement au corneille, le Rupin s’étonne que sa mère n’ait pas déjà volé l’arc et les flèches de Cupidon, pour s’improviser entremetteuse.
Elle est pas méchante, mais putain qu'est-ce qu'elle est chiante.
Un filandreux laïus sur la saharienne Y.S.L de sa partenaire de double sur le court gazonné plus tard, la bourgeoise se lance, avec ses airs de-ne-pas-y-toucher, dans la construction d’un échafaudage matrimonial aux petits oignons. "Bingo !", pense-t-il, en arborant un sourire niais et acquiesçant de la tête. Oh oui pour sûr, on devrait les inviter à dîner à la maison, la prochaine fois qu’il leur rendra visite. Sidéré et agacé, Håkon rit doucement sous cape en son for intérieur. Pourquoi faut-il que sa mère soit toujours si collet monté, même avec ses enfants ? Elle devrait y aller carrément franco en lui disant "Mon chéri, tu devrais copuler comme une bête avec Tiffany Cunningham dans tout les lits du Country Club et lui passer la corde au cou, avant qu’un autre coquelet s’adjuge la poule aux œufs d’or. Bon, je te le concède, elle n’a pas inventé la machine à cambrer les bananes. Mais dans le fond mon chéri, est-ce qu’on s’en bat pas un peu les reins !?".
Un peu brut de décoffrage certes, mais au moins cela aurait le mérite d’être clair. "Aussi charmante et délicieuse soit-elle, je te rappelle qu’elle vit à New-York et que je suis à Los Angeles. Ce qui n’est, tu en conviendras, pas très commode pour établir une relation suivie, sérieuse et fonder une famille.", objecte-t-il avec un brin d’ironie, alors qu’il traverse un passage piéton. Un petit jump avec grab de la planche réalisé, afin de monter sur le trottoir opposé. Définition de charmante selon le dictionnaire de la haute en quatre volumes : Fille à papa pleine de fric. Délicieuse ? Doux euphémisme pour peste. Pour rien au monde Posh s’entichera d’une croqueuse de diamants oisive, superficielle, narcissique et écervelée.
Love is a losing game.
S’il ose à nouveau aimer … cela sera quelqu’un avec qui il partage de nombreux atomes crochus. Quelqu’un qui sera prêt à lui faire une place dans sa vie. Quelqu’un qui sera à même de le comprendre. D’un geste, d’un regard. Quelqu’un qui partagera ses goûts, ses centres d’intérêt. Quelqu'un qui l'acceptera tel qu'il est, et qui n’essayera pas de le changer. Quelqu’un comme la personne qu’il s’apprête à retrouver, par exemple. L’UCLA se dresse à l’horizon. Toujours aussi prolixe, maman poursuit son incoercible flot de futilités. Non sans bêtifier de temps à autres. Ce qui a le don de passablement exaspérer le fruit de ses entrailles. "Pitié maman, j’vais avoir trente-deux ans … . Il serait de bon ton que tu cesses de m’appeler ton bébé. Non seulement ça fait attardé, mais en plus ça invite à la régression mentale.", lâche-t-il dans un soupir désabusé, en se pinçant la racine du nez.
Guère à son goût, la mama fustige cet élan d’insolence et d’effronterie, en montant au créneau et dans les aigus. Evitant de justesse la surdité, Håkon ferme les yeux, grimace et éloigne le téléphone de son oreille. Au loin, la silhouette affûtée du sémillant Docteur Fox s’esquisse. Distance réduite, le paléopathologiste lève le bras et salue avec entrain son confrère. Un sourire enchanté et radieux peint sur les lèvres. Portable réarmé contre son ouïe, il décélère progressivement et profite d’un bref blanc entre deux tirades - légèrement moins courroucées – pour essayer d’en placer une. "Oui … ou… o… oui, oui … Ecoute maman, il va falloir que je te laisse, je suis arrivé à l’université. Oui … ouiii, c’est promis. D’accord. A toi aussi. Embrasse papa pour moi. A toute à l’heure.", conclut-il, les nerfs quelque peu attaqués et pas mécontent que cette communication touche à sa fin.
Sublime est silence.
Aussi éreinté et groggy qu’un boxeur saoulé de coups à la fin d’un combat au meilleur des douze rounds, l’intello raccroche et pousse un soupir éléphantesque. Manifestation, ô combien flagrante et palpable, d’un soulagement qu’il n’attendait plus. "Putain, les mères, j’te jure … faut-il qu’on les aime pour les supporter !", lance-t-il, en renvoyant le smartphone dans la poche intérieure de son blazer. Le ton mi-badin, mi-harrasé. Un sourire jovial, et bientôt un éclat de rire. Succinct et rapidement contenu. L’agacement n’entame cependant en rien l'humeur jouasse et la forme olympienne, du fiston à sa môman. Primesautier, il salue convenablement son fringant collègue, en lui donnant une accolade. La classique entre hommes, avec contact réduit et tapes gaillardes dans le dos. "Comment vas-tu en ce grand jour, Prince Abi’ ?", s’enquit-il, le verbe taquin, les sourcils arqués dans un petit air mutin et le sourire canaille. Inutile d’avoir fait Maths Po’ ou Science Sup’, pour saisir la référence de cet affectueux sobriquet, un rien customisé. Preuve en est qu’entre puits de science et grand enfant, la frontière s’avère plus que poreuse.