MATCH POINT - Yori

Kimberley est en retard. Quand elle relit la convocation se trouvant sur son téléphone portable, il ne lui faut que quelques secondes pour capter que c’est quinze heures, et non seize comme elle le pensait. Bon, il n’est pas encore l’heure, donc techniquement il lui reste une demie heure pour s’habiller, se préparer, faire son sac, et se rendre sur le lieu de son match. Autant vous dire qu’elle n’y sera jamais ! Pour tenter de diminuer son retard, elle commande un VTC pendant qu’elle termine de nouer les lacets de ses baskets, attrapant son sac pour descendre à toute hâte.

Elle envoie également un message à son partenaire de tennis, @Yori Porter, pour prévenir qu’il commence l’échauffement sans elle. Oui, et bien elle n’aura pas un échauffement total vu le retard mais au moins, elle sera présente ! C’est mieux que rien non ? Elle attache ses cheveux, optant pour une queue de cheval haute, qui ne la gênera pas durant leur match.

Le véhicule se gare devant le lieu de rencontre, et quand elle arrive devant le cours, elle voit qu’elle est la dernière sur place. Leur coach n’est pas là, étant sur une autre rencontre, alors elle se dirige vers Yori directement, en petite foulée.

- Désolée ! Mais je suis là.

Un retard, ça arrive à tout le monde, non ? Bon, j’essaye de m’échauffer un peu, mais l’arbitre vient rapidement se placer sur sa chaise haute, et demander aux binômes de se mettre en place. Bon… Kimberley est loin d’avoir été présence lors des derniers entrainements… Elle espère juste que son niveau n’a pas trop chuté entre temps. Il est vrai que depuis quelques semaines, elle privilégie son espèce de stage au shop de Milo plutôt que le sport… La preuve, elle loupe un point plutôt facile.

- Merde…

Un petit geste vers Yori pour s’excuser… et c’est parti pour un autre jeu.. Puis un autre set… Oui, bon, le match est mal parti. Des fautes de plusieurs côté, mais il est vrai que Kimberley y est pour beaucoup. Entre deux sets, elle se pose sur le banc, pour la petite pause qui leur permet de boire et debriefer un peu.

- … C’est mal parti mais rien n’est encore perdu !

- Ça va, ça arrive à tout le monde ! C’est la première fois que j’ai un retard comme ça, tu peux au moins m’excuser non ?

Après tout, elle n’a jamais été en retard aux autres rendez vous. Les tournois qu’ils ont fait tous les deux, elle a toujours été à l’heure. Alors certes, ces derniers temps elle est moins présente, mais à part aujourd’hui, elle a toujours tâché d’être à l’heure. Mais là, elle ne saura pas expliquer pourquoi elle pensait que c’était une heure plus tard. Il faut croire que la jolie blonde à la tête ailleurs en ce moment !

En tout cas, l’heure est au match, et effectivement, le meilleur ami de Kimberley aujourd’hui est le filet. Ses balles semblent être toujours attirés dedans, peu importe ce qu’elle fait.

- Quoi ? Arrête, t’as jamais mit une balle dans le filet peut-être ?

Il s’est levé du mauvais pied ou quoi ? Kimberley fronce une nouvelle fois les sourcils, et se remet en position pour d’autres points. Lorsque Yori perd un point, elle se tait, mais retient. La balle était compliquée certes, mais bon. Elle garde une balle dans son barillet. Une fois le set terminé, elle va s’assoir pour boire un peu, espérant que ça agisse comme une potion magique sur elle.

- Si je ne viens pas, c’est que je ne peux pas. Crois pas que ça soit par flemme.

… c’est pour sa future carrière, d’un côté. Après tout, plus elle traine avec Milo, plus elle lui rend des services, et plus facilement elle pourra se faire une place auprès de lui, pour bosser ses dessins. Et vu son père, c’est certainement pas lui qui va l’aider, alors… si elle doit sacrifier quelques entrainements pour ça, elle le fera.

- On verra le deuxième set. Je vais essayer de me reprendre, promis.

Malheureusement… ça ne suffit pas. Kimberley a beau tenter de se mettre dedans, elle n’y arrive pas, et continue de jouer de manière très décevante. Elle sent le regard de son partenaire sur elle, et se demande à quel moment elle va le défoncer, mais essaye refaire abstraction. Elle réussi quelques points, malgré tout, mais… ses pensées divaguent encore, et même elle, ça l’énerve. Elle sait que sa vie ne roule pas comme elle le veut, et ça la gave. Deuxième set perdu, de peu, mais perdu quand même. Fin du match, retour aux vestiaires, où Kimberley lance son sac au sol, attaquant directement son partenaire.

- Je sais, c’est de ma faute, j’ai compris ! Mais t’as pas à me foutre mes erreurs dans la tronche ni à faire le mec vénère okey ? Y’a pire dans la vie, alors clairement, relativise. On fera mieux à un prochain match.

Kimberley a toujours été une femme qui ne se laisse pas spécialement marcher sur les pieds, et qui ouvre la bouche quand elle a quelque chose à dire. Elle aime aller au bout des choses, et quand elle aime, elle se donne à cent pour-cent. C’est cette fille là que Yori a rencontré durant les entrainements de tennis qu’ils ont eu en commun, et c’est surement aussi avec cette fille là qu’il voulait se mettre en binôme pour les tournois mixtes… Parce que oui, c’est quelqu’un qui se donnerait à fond pour sa team.

Mais voilà, plus le temps passe, plus cette Kimberley là semble disparaitre. Certains diront que c’est la crise d’adolescence, et que c’est difficile pour elle de rester la même alors que tout change en elle. Kimmie, elle, dira à qui veut l’entendre qu’elle traverse juste une mauvaise passe, ce qui n’est pas faux. Elle a beau faire la forte, elle semble touchée par certains événements qui semblent s’accumuler dans sa vie, et la vérité ? C’est qu’elle n’a pas trouvé de réel soutien qui l’aide quand elle sombre.

Le problème, c’est que même si elle a besoin d’être secouée, il faut l’art et la manière pour lui parler… utiliser un mode d’emploi bien précis et malheureusement, Kimberley n’est pas livrée avec la notice. Alors oui, elle grommelle quand Yori lui demande de lui donner une excuse. Ce n’est pas son père, après tout. Quoi que, en vrai, lui au moins lui demande une excuse. Bref, elle ne répond pas, agacé encore plus d’avoir insinué son paternel dans ses pensées un jour de match.

- J’suis pas égoïste, mais ça arrive les défaites, faut que t’apprenne aussi à perdre hein.

Rejeter la faute sur autrui, c’est bien plus facile… Mais c’est un moyen de défense aussi pour elle.

- C’est le premier match qu’on perd ensemble, mais clairement si tu me fais une crise comme ça quand on perd, j’vais changer de partenaire hein. Et c’est con parce que t’es pas mauvais, et t’es pas un connard en temps normal.

Oui, le ton monte, mais Kim a du mal à rester calme alors qu’elle sent cette pression.

- Je peux pas être au top tout le temps, c’est comme ça. Fais avec.

Bien sûr qu’elle est consciente qu’elle abuse un peu… Mais Kimberley est comme ça, quand elle se sent attaquée, elle riposte. Elle a beau être en tort, elle tentera de retourner la situation, mais ça ne marche que très rarement. Mais elle n’a pas non plus pour habitude de faire marche arrière. C’est toxique, mais elle n’a jamais apprit à faire autrement. Elle se contente de froncer les sourcils, et de l’écouter.

Facile de dire qu’elle doit régler ses problèmes avant de venir, mais elle risque de ne pas revenir rapidement dans ce cas là. Si vous lui demandez, elle ne dira pas ce qui ne va pas. Elle se contentera de sourire, et de dire aux autres que tout va bien. Parce qu’au final, elle ne serait même pas capable de mettre des mots sur sa vie… Trop de pression au lycée ? Des parents loin d’être parfait, bien au contraire ? Et des histoires en dehors dépassant légèrement les limites de son âge et de ses capacités ?

Quand elle entend qu’il souhaite parler au coach d’un éventuel changement de partenaire, ça ne lui plait pas. Elle se retrouve même blessée par ses mots, alors qu’elle a tenu les mêmes quelques minutes auparavant. Syndrome de la fille pourrie gâtée qui a du mal à accepter qu’on puisse la laisser. Kimberley n’a jamais manqué de rien, financièrement parlant, mais grandir avec un père absent avec qui elle doit cohabiter aujourd’hui, une mère qui se laisse emporter par ses démons et qui vient de partir en voyage sans la prendre avec elle… Et maintenant, même son partenaire de tennis préfère jouer avec quelqu’un d’autre.

- … Okey.

Elle préfère ne pas trop l’agresser, elle sait qu’elle n’est pas légitime là dessus. À la place, elle le laisse partir vers les vestiaires, et se rend seule sur le terrain annexe. Quoi de mieux que de se défouler en frappant dans la balle ? Une boite de balle, vide, posée à l’autre bout du terrain. Les balles de la boite dans sa poche, et un entrainement au service. Le but ? Frapper la balle le plus fort possible pour aller shooter la balle à l’autre bout du terrain. Est-ce qu’elle pourrait se faire une thérapie avec ça ? Imaginer la tête de ses parents, ses camarades de classe, ou même Yori ? Sauf que même ça, elle n’y arrive pas, ce qui a le don de l’agacer.