tw: relation tarifée.
@Ariel Smith
Combiné rouge en main, et l'autre qui griffonne, à la va-vite, écriture qui l'aurait propulsé au panthéon des médecins, dans une autre vie ; Joaquin est au comptoir, le soleil est tombé il y a vingt minutes, depuis, le ciel s'est inondé de pourpre. "Hm, hm." Il marmonne, acquiesce dans le vide. Fait semblant d'écouter, puisqu'il faudrait sinon parler, répondre, s'y intéresser ; en réalité, le réseau des maîtres d'hôtel le lasse depuis des mois déjà. Les autres hôtels du coin l'appellent régulièrement, demande à ce que leur soit prêté le chef de l'Angeleno, ou bien du personnel de ménage, pour combler l'absence d'un type malade. À chaque fois, il approuve. Envoie les documents nécessaires, et puis arrondit les angles, tout en douceur, auprès des employés prêtés. Se retrouve affublé de nouvelles tâches, au propre comme au figuré ; chargé de ménage exceptionnellement, pour ne pas surcharger les collègues, et puis sur son veston violet naît les ecchymoses du produit d'entretien. Aujourd'hui, il soupire sans retenue. "Ce soir, pas assez de monde. Désolé." Il hausse les épaules, sans conviction, la bouche tordue de dégoût. C'est déjà trop de mots.
Dans le hall, alors que les supplications fusent au téléphone et que Joaquin lève les yeux au ciel, le lobby boy apparaît. Il court presque, arrive au comptoir essoufflé, y pose les deux mains. "C'est bon, tout est prêt." La main qui tourne dans le vent, synonyme d'un écran de chargement, comme pour lui dire de patienter, qu'il sera à lui dans une seconde. Enfin, les commissures se soulèvent. "Okay. Bonne soirée." Raccroche sans plus tarder, exhale le soulagement, et si ça avait été de la fumée, elle aurait viré irisée. Et puis les mains s'agitent, signent. "Tu as préparé tout ce qu'il y avait sur la liste ? Les anémones, le vin français ?" Le garçon hoche la tête, trépigne un peu, les joues rosies. "Et le reste aussi ? Tu es sûr ?" Il a l'air, en tout cas, hoche la tête plus vite, plus fort, puis s'interrompt. Fronce les sourcils. Hésite. Les poignets s'impatientent. "Qu'est-ce qu'il y a ?" Le gamin sourit un peu plus fort, les joues un peu plus rouges. "Flora, la femme de ménage du troisième, travaillait avant dans l'autre hôtel, m'sieur, le Sunset. Elle m'a dit qu'il était très riche, ultra recherché, le nec du client." Joaquin se relève, il sait déjà tout ça, évidemment. Le réseau d'hôtels permet au moins de se passer les fiches des clients qu'on repère, de les satisfaire sans qu'ils aient besoin de demander quoi que ce soit. Il lui fait signe de continuer, pourtant, à peine intrigué, se rapproche, se tient bien droit face au lobby boy. "Et il paraît que m'sieur Smith-Williams, il a un truc récurrent qui n'est pas sur la liste. Elle m'a donné une carte qu'elle a retrouvé dans ses affaires, qu'elle garde toujours. Elle connaît bien les clients, elle mériterait une augmentation." C'est robotisé, mais ça fait sourire Joaquin, qui récupère le bout de papier tendu. Belles couleurs rougies.
Les teintes de luxure.
Et vingt minutes plus tard, ce sont ses joues qui sont devenues palettes d'un tableau d'été. Il a à nouveau le combiné à l'oreille, cette fois-ci calé contre l'épaule, il écoute. Les blancs sont fréquents dans l'appel, mais il ne flanche pas, se contente d'un peu plus bourgeonner à chaque fois, coquelicot en costume. "Donc nous, les préservatifs, le lit, le calme. Vous, le type." Il attend qu'on réponde, laisse couler une demi-minute de silence abyssale, puis rajoute un faible raclement de gorge. "Non, on ne connaît pas les pratiques sexuelles du client. Idéalement, un gars qui fait tout." Attend un peu. Pas de réponse. "Au cas où. Mais c'est très bien payé." Il ne le sait pas, en fait, ne connaît pas la grille tarifaire en vigueur ; sait qu'il ne facturera évidemment pas au client les protections, par élégance et parce que la suite Lincoln constitue déjà en soi une petite fortune. Joaquin aimerait fidéliser le client, alors il continue la prise de notes, si l'on venait à le questionner. Il perd le fil de la voix de la femme, imaginant le client aux prises d'un garçon charmant, l'appelant en plein ébat pour savoir jusqu'où exactement ils pouvaient soupirer d'extase ; ferme les yeux une seconde, étouffe un rire. Évidemment que non. Ce gars-là sait son métier, c'est lui qui le guidera. "Je suis dans le hall. Votre homme n'a qu'à se présenter avec votre carte. Hm ?" C'est signe que la conversation est finie, il sourit dans un au revoir murmuré, repose le téléphone en secouant la tête.
Pour pêcher des gros poissons, il faut du bel hameçon ; il se surprend même à guetter l'arrivée du garçon, juste pour voir si dans son sillage il y aura l'effluve d'Éros, ou s'il a trop de clichés.
@Ariel Smith