Des cris, au loin. Initialement faibles, s’intensifiant cependant avec les instants. Il s’agissait de cris d’euphorie. Il s’agissait de cris de joie. « C’est lui, c’est Lewis, mon dieu, mes ovaires vont exploser ! » lui rentrait par une oreille, rejoignant rapidement le « Oh mon dieu, c’est le plus beau jour de ma vie, je crois que je vais m’évanouir ! » ayant emprunté le chemin de l’autre. Ces bribes de conversations, d’exclamations et d’indignations se retrouvèrent toutes dans les plus sombres recoins de son cerveau tandis que lui tentait d’en faire abstraction, ignorant l’avalanche d’apostrophes effectuées par les personnes l’entourant. C’était dans ce genre de moments là que Paul se souvenait avec ferveur des raisons qui le poussaient à ne pas apprécier les grandes foules ; malheureusement pour lui, il était à présent trop tard, bien trop tard, pour oser rebrousser chemin. Tentant tant bien que mal de se concentrer sur le concert s’offrant à ses yeux, malgré lui, il écoutait distraitement la voix grondante du chanteur résonner dans ses oreilles, se disant que ce genre de musique ne correspondait absolument pas au type de mélodies que lui, en tant qu’homme, appréciait écouter. N’y avait-il donc pas de scènes de bon vieux Rock ‘n’ Roll ou de langoureuse Salsa ? Où se cachait désormais cette musique ayant peuplé son enfance qu’il avait tant affectionnée en grandissant et qu’il peinait à présent à retrouver dans le monde se métamorphosant ? Il n’en savait rien.
C’est alors que de nouveaux cris interrompirent le flot de ses pensées. Plus proches, cette fois-ci. Intenses depuis le départ. À l’opposé des cris d’euphorie entendus précédemment, cependant, il semblait cette fois-ci que ces cris transportaient avec eux des sentiments d’inquiétude, d’effroi et d’incompréhension. Rapidement suivis par des murmures, murmures cherchant difficilement à s’élever au-delà du brouhaha ambiant, ces cris semblaient provenir de la gauche et c’était à la fois par curiosité et par espoir de pouvoir se retrouver face à une situation qu’il saurait mieux gérer que le gynécologue se dirigea, malgré lui, vers le lieu d’où semblait provenir toute cette commotion. « Un docteur, un docteur ! Que quelqu’un appelle un docteur ! » « Au secours, au secours, elle est morte, au secours ! » « Mais non, ne voyez-vous pas que sa poitrine monte et descend ? Elle n’est pas morte, elle respire ! » « Mademoiselle ? Réveillez-vous … Mademoiselle ? » « Un docteur, un docteur ! Personne ne sait où on pourrait trouver un docteur ? »
Malheureusement pour ces jeunes gens, la mélodie assourdissante noyait leurs cris dans sa lancée, empêchant à la majorité des spectateurs du concert de prendre conscience de la scène se déroulant alors à quelques mètres de la scène. Heureusement pour eux, cependant, Paul avait entendu leurs implorations et c’est presque avec soulagement qu’il se dirigea donc vers le noyau du cercle (où se trouvait très certainement la victime) avant de déclarer avec son calme naturel et sa voix imposante : « Je suis médecin, que se passe-t-il ? » En réalité, cela faisait bien des années qu’il avait renoncé à la médecine générale afin de se spécialiser en gynécologie … Il n’empêchait cependant qu’il avait malgré tout les compétences nécessaires pour gérer un malaise. La seule question demeurant actuellement était la suivante : aurait-il également les compétences nécessaires pour gérer le retour de sa femme ? Car ce n’est qu’après avoir prononcé ces quelques paroles que, tétanisé, Paul se retrouva face au visage inanimé de celle qu’il avait, quelques mois auparavant, et ce, jusqu’à ce que mort s’ensuive.
Jamais ne s’était-il attendu à ce que leurs chemins ne se recroisent un jour, et certainement pas aussi tôt.